Des études fondamentales à la recherche appliquée : Marc Julia et l’industrie chimique

La synthèse chimique est le processus par lequel une ou plusieurs réactions chimiques sont effectuées dans le but de convertir un réactif ou une matière première en un ou plusieurs produits d’intérêt. Elle permet donc d’obtenir des composés nouveaux, mais également des produits d’origine naturelle dont l’extraction ou la purification sont difficiles. C’est dans ce domaine de la « chimie naturelle » que les apports de Marc Julia sont particulièrement remarquables. Soucieux du débouché concret de ses recherches, le chercheur a collaboré étroitement avec le monde industriel, fait assez exceptionnel en son temps, tant a longtemps perduré une stricte distinction entre recherche appliquée et sciences fondamentales.

Marc Julia était un chercheur et un professeur renommé internationalement pour sa créativité et sa connaissance quasi-exhaustive de la bibliographie de chimie organique. Il portait aussi un grand intérêt aux applications potentielles de ses recherches, un de ses commentaires favoris sur un axe de recherche était : « Ce serait mieux si le résultat de votre recherche pouvait être utile ».

De nouvelles voies de synthèse pour accéder à des produits utiles

Cet intérêt l’a conduit rapidement à orienter certaines de ses recherches vers des synthèses améliorant l’accès à des produits importants ; on peut citer, par exemple, une nouvelle voie de synthèse de l’acide chrysanthémique, un intermédiaire pour accéder à des molécules insecticides, mais surtout une nouvelle voie de synthèse de la vitamine A, très concurrentielle des voies existantes à l’époque car convergente et générant beaucoup moins de déchets à traiter.

Cet attrait pour les applications l’a amené rapidement à collaborer avec des industriels, notamment avec Rhône-Poulenc pour l’industrialisation de la synthèse de la vitamine A. Il a participé en tant que consultant, au développement industriel de la synthèse de la vitamine A dans la société AEC (filiale de Rhône-Poulenc*) ; la compagnie a bénéficié de ses précieux conseils durant toute la période du développement qui s’est étalé sur une dizaine d’années. La vitamine A est toujours produite à Commentry par la société Adisseo à une échelle de plusieurs centaines de tonnes par an par la voie imaginée par Marc Julia.

*Rhône-Poulenc (RP) était un groupe chimique et pharmaceutique français qui a compté plus de cent mille employés à travers le monde ; à la suite de son éclatement en 1998 ses activités chimiques ont été transférées chez Rhodia qui a été ensuite acquis par le groupe Solvay en 2011.

Marc Julia : un consultant créatif chez Rhône-Poulenc

Parallèlement à cette activité de suivi de développement, Marc Julia a été membre du conseil scientifique du groupe Rhône-Poulenc et avait un rôle de consultant auprès des chercheurs du groupe, activité qu’il a poursuivie après sa retraite. Chaque mois, il envoyait plusieurs pages de propositions provenant de publications récentes de la littérature. Il se rendait également de manière régulière dans les centres de recherche du groupe pour discuter des problèmes de synthèse rencontrés par les chercheurs. Là encore, il se démarquait des autres consultants par une contribution originale basée sur sa créativité, ses immenses connaissances bibliographiques et une préparation méticuleuse dès qu’il avait connaissance d’un problème. Suite aux réunions, il avait pour habitude d’envoyer un rapport qui rassemblait ses analyses théoriques du problème et qui se terminait par des propositions expérimentales faciles à mettre en œuvre dans le but de vérifier rapidement les hypothèses émises lors des discussions. Comme lors de ses enseignements, il savait transmettre à ses interlocuteurs sa foi dans la recherche et prodiguer des conseils sur la manière de progresser en recherche de voies de synthèse. Il concluait souvent les réunions en disant : « Une fois de plus, on s’aperçoit que la résolution de problèmes industriels nécessite des études fondamentales et si vous avez des questions n’hésitez pas à m’appeler ». Il était l’un des rares consultants dont les interventions étaient attendues par les chercheurs qui étaient impressionnés par ses connaissances, sa bienveillance envers ses interlocuteurs, sa curiosité vis-à-vis du monde industriel, la pertinence de ses analyses et par l’aspect concret de ses propositions.

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Illustration de l’article : SPECIA. Rhône-Poulenc. Usines de Saint-Fons (Rhône) © BIU Santé Pharmacie