Début de l’édification de l’abbatiale romane du Mont-Saint-Michel

RETOUR AU DOSSIER

Par Véronique Gazeau, professeur émérite en histoire médiévale de l’université de Caen Normandie


1023 marque le début de la reconstruction de l’abbatiale du Mont-Saint-Michel. Le sanctuaire appelé Mont-Tombe jusque dans la seconde moitié du Xe siècle, est situé à dix kilomètres de la côte et constitue un véritable défi lancé aux bâtisseurs, aux pèlerins et aux archéologues pour ne citer que ces exemples.

Sous l’abbatiale : Notre-Dame-sous-Terre

Si le De abbatibus hujus loci rubrica abreviata, rédigé par l’abbé Robert de Torigni à partir de 1154, ne fait que brièvement allusion aux travaux réalisés aux Xe-XIe siècles, en revanche les fouilles archéologiques entreprises depuis le début du XXIe siècle, grâce à la datation des briques des claveaux des arcs et des baies par thermoluminescence, et à la datation des charbons dans les mortiers de chaux par le radiocarbone, attestent un édifice préroman qui pourrait avoir été construit en deux temps : d’abord au début de l’abbatiat de Mainard Ier (vers 965-991) puis au début de l’abbatiat de Mainard II (991-1009), l’église, appelée Notre-Dame-sous-Terre, est édifiée à l’ouest sur un replat en contrebas du sommet du  rocher ; cet édifice préroman aurait succédé à un établissement probablement fondé vers 709 par Aubert, évêque d’Avranches, pour une communauté de douze clercs séculiers chargés du culte de l’église dédiée à saint Michel et du pèlerinage, et dont la présence perdure vraisemblablement encore au milieu du XIe siècle. Vers 965-966, le duc de Normandie Richard Ier impose des moines bénédictins. C’est cette grande abbatiale préromane de Mainard qui a souffert dont la reconstruction débute, d’est en ouest, à partir de 1023 sous l’abbé Hildebert II (1017-30 septembre-1023).

Un ambitieux défi architectural

Le duc de Normandie Richard II avait préalablement accordé aux moines du Mont l’île de Chausey d’où provinrent les pierres et semble avoir eu l’intention de surpasser les princes de son époque, tels le comte d’Anjou Foulque Nerra, fondateur de l’abbaye de Loches, ou les hommes d’Église eux-mêmes bâtisseurs, comme Guillaume de Volpiano, abbé de Saint-Bénigne de Dijon puis de Fécamp et de Jumièges, Gauzlin, abbé de Saint-Benoît-sur-Loire, et même l’archevêque Robert de Rouen (989-1037). La reconstruction commença par le chœur. Les dimensions considérables de l’abbatiale posent un problème car elles dépassent de beaucoup la superficie constructible au sommet du Mont. Des cryptes furent alors aménagées pour soutenir les parties de l’église qui ne pouvaient s’appuyer sur le rocher. Le chœur roman repose sur une des cryptes. Son plan polygonal dépourvu de chapelles rayonnantes possédait un déambulatoire, généralement caractéristique des églises de pèlerinage, que l’on pouvait trouver dans des églises construites antérieurement, Saint-Philibert de Tournus, Saint-Aignan d’Orléans et Saint-Martin de Tours. Le déambulatoire était surmonté d’un étage de tribune et d’une rangée de fenêtres hautes, élévation représentée sur l’enluminure des Très riches heures du duc de Berry, qui donne à voir le chevet roman disparu puisqu’il s’effondra en 1421. Une haute tour lanterne devait inonder de lumière le chœur, à l’instar de ce qui existait à Loches ou bien à Saint-Bénigne de Dijon, imitation du Saint-Sépulcre de Jérusalem.

L’influence de l’abbaye de Fécamp

Arrivée à la hauteur du transept vers 1058, la construction de la nef romane de l’église fut achevée vers 1085 sous l’abbatiat de Renouf. Un effondrement du côté nord obligea à reprendre le collatéral nord de la nef en 1103. L’abbatiale, commencée en 1023 juste avant l’accession à l’abbatiat montois de moines venus de Fécamp, va profiter de la circulation de modèles architecturaux liés à l’abbaye du diocèse de Rouen, et offrir un exemple de ces édifices de Normandie qui, dans le second quart du XIe siècle, manifestent un dynamisme nouveau qui s’applique aussi à la liturgie et à la décoration des manuscrits. Comme à Saint-Denis de Nogent-le-Rotrou, mais surtout à Bernay, Jumièges et à la cathédrale de Rouen, un nouveau parti architectural est adopté et la brique laisse la place à la pierre de taille.

Coupe transversal de l’abbaye du Mont-Saint-Michel, d’après le dessin de M. Éd. Corroyer appartenant aux archives de la Commission des Monuments historiques. Notre-Dame-Sous-Terre ne figure pas sur ce dessin. © Archives de la Commission des Monuments historiques | WikiCommons

À lire :

Véronique Gazeau, Normannia monastica, Prosopographie des abbés bénédictins (Xe-XIIe siècle), Caen, Publications du CRAHM, 2007.

Christian Sapin et al., « Archéologie du bâti et archéométrie au Mont Saint-Michel, nouvelles approches de Notre-Dame-sous-Terre », Archéologie médiévale, n° 38, 2008, p. 71-122.

Éliane Vergnolle, « Le chevet roman du Mont Saint-Michel. Une œuvre majeure du second quart du XIe siècle », dans 1023-2023 : Le Mont Saint-Michel en Normandie et en Europe. Nouvelles découvertes et nouvelles perspectives de recherche, Colloque international de Cerisy-la-Salle, dir. Mathilde Labatut et Fabien Paquet, 31 mai-4 juin 2023, à paraître.

 

Crédits photos :

Illustration de la page d’accueil : Le Mont Saint Michel © WikiCommons

Illustration du chapô : La Fête de l’archange : le Mont Saint-Michel, frères Limbourg (entre 1411 et 1416) © Musée Condé | WikiCommons 

Illustration de l’article :

Bannière :

In « Recueil sommaire des cronicques françoyses », par Guillaume CRETIN. Français 2819 © Gallica / BnF 

Corps de l’article :

Vue générale de l’église abbatiale © Henry Decaëns – Tous droits réservés

Vue de l’absidiole du bras sud du transept (milieu du XIe siècle) © Henry Decaëns – Tous droits réservés

Chapiteau en pierre de Caen, dans le bras sud du transept (milieu du XIe siècle) © Henry Decaëns – Tous droits réservés

Print Friendly, PDF & Email
Retour en haut