Dans les manuels scolaires de la République : un méchant homme mais un roi admirable

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Article de Maud Ternon, agrégée d’histoire, docteur en histoire médiévale, chargée d’actions culturelles et pédagogiques à l’Institut de France


Les livres d’histoire des écoliers français, à partir de la fin du XIXe siècle, déroulent une suite de portraits de grands personnages, rois exemplaires, ministres fidèles, héros et héroïnes célèbres qui forment comme un album de famille des Français. La biographie y est employée comme principal moyen pédagogique. La vie, les hauts faits et les maximes des figures choisies sont proposés à l’enfant pour son instruction et son édification morale. L’image est largement employée, surtout pour les plus jeunes. Louis XI occupe une place indiscutée dans cette succession de portraits, apparaissant toujours en clôture de la période médiévale, légèrement dans l’ombre de Jeanne d’Arc, auréolée d’un prestige indépassable. Il fait l’objet d’un éloge paradoxal, dans une dichotomie dont les termes se répètent d’un manuel à l’autre.

Louis XI est d’abord « un méchant homme ». Affligé d’un physique ingrat, il manifeste de graves défauts moraux, la cruauté, la fourberie, la méfiance. C’est un roi sans majesté, arborant une tenue vestimentaire dénuée d’éclat et s’entourant de conseillers qui sont, au mieux, de simples bourgeois. Quel contraste avec le majestueux Charlemagne, l’exemplaire saint Louis mais également avec son noble et orgueilleux rival, Charles le Téméraire ! Les illustrations proposées aux enfants dépeignent le souverain sous des traits repoussants, ancrant durablement dans les esprits cette image négative.

Louis XI est toutefois « un roi qu’il faut admirer » car il fait preuve de qualités exceptionnelles en tant que gouvernant. S’il emploie la ruse, c’est pour mieux soumettre à l’autorité royale « les méchants seigneurs » et réaliser ainsi l’unité politique et territoriale du royaume. C’est la leçon d’histoire politique que les instituteurs souhaitent transmettre à la jeunesse. S’il ne se prête pas aux fastes traditionnels de la royauté c’est qu’il a le goût des choses simples, qu’il est économe, travailleur et proche de son peuple. Autant de qualités morales dont les écoliers sont invités à s’inspirer.

La France des dernières décennies du XIXe siècle, dépouillée de l’Alsace-Lorraine et fracturée par de violentes dissensions politiques, trouve à se rassembler autour de l’idéal patriotique d’une Nation forte, dotée d’un territoire naturel à préserver. Le récit historique inculqué aux écoliers affirme ainsi que les bons rois du passé sont ceux qui ont agrandi et protégé le pays. Louis XI, fort des gains territoriaux qu’il réalise, en est l’un des jalons essentiels. À une époque où certains sujets d’histoire comme la Réforme, les Lumières et la Révolution voient s’affronter durement partisans des écoles laïques et tenants de l’éducation catholique, Louis XI apparaît comme une figure consensuelle de roi ambivalent constructeur de l’unité nationale. Après la Première Guerre mondiale, qui permet la reconquête de l’Alsace-Lorraine, et jusqu’à une période récente, les termes du portrait demeurent inchangés. La justification territoriale et patriotique est toutefois affaiblie, et l’ambivalence devenue bancale penche décidément du côté du « roi méchant »…

À lire :

Christian Amalvi, Les héros de l’histoire de France : recherche iconographique sur le panthéon scolaire de la Troisième République, Paris, Phot’oeil, 1979.

Christian Amalvi, De l’art et la manière d’accommoder les héros de l’histoire de France : essais de mythologie nationale, Paris, A. Michel, 1988.

Lydwine Scordia, 2015, Louis XI : mythes et réalités, Paris, Ellipses.

Philippe Marchand, « Louis XI au travers des manuels scolaires de l’école primaire 1880-1968 », Dossier « Louis XI, une figure controversée », Bien dire et bien aprandre. Revue de Médiévistique, 27, 2009-2010, p. 131-143.

 

Crédits photos : 

Illustration de l’article : Gravure représentant Louis XI, in Cent récits d’histoire de France par Gustave Ducoudray (1902) © Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l’homme | Gallica 

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