Péguy est-il un écrivain catholique ?
RETOUR AU DOSSIERArticle d'Éric Thiers, Président de l'Amitié Charles Péguy
Charles Péguy est écrivain. Il est aussi catholique. Mais peut-on le qualifier d’écrivain catholique ?
Il est vrai que la postérité l’a longtemps enfermé dans ce rôle. L’auteur du Mystère de la Charité de Jeanne d’Arc, du Porche du Mystère de la deuxième vertu, de Ève, de la Tapisserie de Notre Dame, et autres textes, a illustré, pour certains, un mouvement de conversion religieuse avant la Première Guerre mondiale, à l’instar de Claudel, Huysmans ou Jammes.
Pourtant on ne saurait réduire Péguy à sa foi catholique, aussi centrale et séminale soit-elle dans la dernière partie de sa vie. Il est d’abord un écrivain universel, marqué également par son socialisme anarchisant, son républicanisme combattant et son dreyfusisme intransigeant.
Péguy est d’ailleurs un catholique bien singulier. Baptisé, il s’éloigne très jeune de la religion notamment en raison d’un refus viscéral du dogme de l’enfer et de la damnation, qui demeure pour lui un non-sens et un scandale impossible à accepter. Il se tourne vers un socialisme dont il perçoit d’ailleurs l’inspiration dans le christianisme. À vrai dire, pour lui, la charité n’est pas sans lien avec l’idée de solidarité et le désir de justice qui fonde le socialisme. Pour reprendre les mots de l’Internationale, il s’agit aussi de se porter aux côtés des « damnés de la terre ».
Défenseur d’une liberté de conscience absolue avant même son retour à la foi, il combat avec virulence le combisme, qui entend imposer un dogme républicain anti-religieux. Il se tient du côté d’Aristide Briand, rapporteur de la loi de 1905, sur une position modérée lors des débats sur la séparation des Églises et de l’État.
En proie au doute et installé dans une détresse personnelle, Péguy revient à la foi à 35 ans. Dès lors elle devient l’axe de sa vie et de son œuvre, ce qui est la même chose. Mais il demeure un catholique du seuil. Il reste au porche de l’Église, au sens propre comme au sens figuré. Il ne se rend pas à la messe ; il ne s’est pas marié à l’Eglise ; ses enfants ne sont pas baptisés. Il faut dire que sa femme est issue d’un milieu républicain, anticatholique. Sur le fond, Péguy est aussi un chrétien anticlérical véhément. Il n’a de cesse de combattre tous les cléricalismes, et les « curés », qu’ils soient laïcs ou chrétiens, selon son expression, c’est-à-dire tous ceux qui entendent imposer un dogme ou des comportements contre la vérité et la liberté.
Chrétien inspiré et prophétique, qui dialogue avec les juifs et les protestants qui l’entourent, Péguy exprime une foi populaire, celle des petites gens de son milieu d’origine, de ces bâtisseurs de cathédrale qui voient dans le travail bien fait une forme d’onction. Il est profondément catholique. Il croit aux saints et aux anges gardiens. Il voue un culte à la Vierge Marie à qui il confie ses enfants malades, lors d’une longue marche vers Chartres qui ouvrira la tradition du pèlerinage. Sa foi, fondée en particulier sur cette belle vertu qu’est l’Espérance, est exprimée dans quelques-uns des plus beaux textes de la langue française. En cela il est un catholique qui écrit et porte haut sa foi à tel point que récemment le Pape François en a conclu : « Péguy est plus chrétien que moi. »
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Illustration de l’article : Maurice Denis, Le Paradis, 1912, Musée d’Orsay © WikiCommons