Chapitre 6 : A. Dumas, dans La Reine Margot (1845)

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La Reine Margot est le premier roman d’une trilogie historique consacrée par Dumas à la cour des Valois au temps des guerres de Religion. Le roman commence à Paris, le 23 août 1572, veille de la Saint-Barthélemy. Un jeune noble catholique, le comte de Coconnas, arrive à Paris pour la première fois et doit se rendre au Louvre, à la cour du roi. On célèbre alors le mariage de Marguerite (surnommée Margot), sœur du jeune roi Charles IX et fille de Catherine de Médicis, avec Henri de Navarre (le futur Henri IV), alors chef du parti protestant. Le mariage est sensé réconcilier les catholiques avec les protestants, venus nombreux à Paris pour cette heureuse circonstance. C’est un tout autre destin qui les attend.

Extrait 1 (Les parisiens prêts au massacre des huguenots) :

Maurevel tira de dessous son pourpoint une poignée de croix en étoffe blanche, en donna une à La Hurière, une à Coconnas, et en prit une pour lui. La Hurière attacha la sienne à son casque, Maurevel en fit autant de la sienne à son chapeau.

— Oh çà ! dit Coconnas stupéfait, le rendez-vous, le mot d’ordre, le signe de ralliement, c’est donc pour tout le monde ?

— Oui, Monsieur ; c’est-à-dire pour tous les bons catholiques.

— Il y a fête au Louvre alors, banquet royal, n’est-ce pas ? s’écria Coconnas, et l’on en veut exclure ces chiens de huguenots ?… Bon ! bien ! à merveille ! Il y a assez longtemps qu’ils y paradent.

— Oui, il y a fête au Louvre, dit Maurevel, il y a banquet royal, et les huguenots y seront conviés… Il y a plus, ils seront les héros de la fête, ils payeront le banquet, et, si vous voulez bien être des nôtres, nous allons commencer par aller inviter leur principal champion, leur Gédéon, comme ils disent.

— M. l’amiral ? s’écria Coconnas.

— Oui, le vieux Gaspard, que j’ai manqué comme un imbécile, quoique j’aie tiré sur lui avec l’arquebuse même du roi. […]

À ces mots, Coconnas frissonna et devint fort pâle, car il commençait à comprendre.

— Quoi, vraiment ! s’écria-t-il, cette fête, de banquet… c’est… on va…

— Vous avez été bien long à deviner, dit Maurevel, et l’on voit bien que vous n’êtes pas fatigué comme nous des insolences de ces hérétiques.

— Et vous prenez sur vous, dit-il, d’aller chez l’amiral, et de… ?

Maurevel sourit, et attirant Coconnas contre la fenêtre :

— Regardez, dit-il ; voyez-vous, sur la petite place, au bout de la rue, derrière l’église, cette troupe qui se range silencieusement dans l’ombre ?

— Oui.

— Les hommes qui composent cette troupe ont, comme maître La Hurière, vous et moi, une croix au chapeau. […]

— Mais, dit Coconnas, tout ce monde sur pied pour aller tuer un vieux huguenot ! Mordi ! c’est honteux ! c’est une affaire d’égorgeurs et non de soldats !

— Jeune homme, dit Maurevel, si les vieux vous répugnent, vous pourrez en choisir de jeunes. Il y en aura pour tous les goûts. Si vous méprisez les poignards, vous pourrez vous servir de l’épée ; car les huguenots ne sont pas gens à se laisser égorger sans se défendre, et, vous le savez, les huguenots, jeunes ou vieux, ont la vie dure.

— Mais on les tuera donc tous, alors ? s’écria Coconnas.

— Tous.

— Par ordre du roi ?

— Par ordre du roi et de M. de Guise.

— Et quand cela ?

— Quand vous entendrez la cloche de Saint-Germain-l’Auxerrois. […]

Coconnas, plus étourdi que jamais de tout ce qu’il voyait et de tout ce qu’il entendait, regardait tour à tour l’hôte, qui prenait des poses formidables, et Maurevel, qui tirait tranquillement un papier de sa poche.

— Quant à moi, voilà ma liste, dit-il : trois cents. Que chaque bon catholique fasse, cette nuit, la dixième partie de la besogne que je ferai, et il n’y aura plus demain un seul hérétique dans le royaume !

— Chut ! dit La Hurière.

— Quoi ? répétèrent ensemble Coconnas et Maurevel.

On entendit vibrer le premier coup de beffroi à Saint-Germain-l’Auxerrois.

— Le signal ! s’écria Maurevel. L’heure est donc avancée ? Ce n’était que pour minuit, m’avait-on dit… Tant mieux ! Quand il s’agit de la gloire de Dieu et du roi, mieux vaut les horloges qui avancent que celles qui retardent.

En effet, on entendit tinter lugubrement la cloche de l’église. Bientôt un premier coup de feu retentit, et presque aussitôt la lueur de plusieurs flambeaux illumina comme un éclair la rue de l’Arbre-Sec.

Coconnas passa sur son front sa main humide de sueur.

— C’est commencé, s’écria Maurevel, en route !

Alexandre Dumas, La Reine Margot, Chapitre VII (1845)

Extrait 2 (Au Louvre, chez la reine-mère Catherine de Médicis, pendant le massacre) :

Tout était changé ; au lieu de cette foule de courtisans empressés, qui d’ordinaire ouvrait ses rangs devant la reine en la saluant respectueusement, Marguerite ne rencontrait que des gardes avec des pertuisanes rougies et des vêtements souillés de sang, ou des gentilshommes aux manteaux déchirés, à la figure noircie par la poudre, porteurs d’ordres et des dépêches, les uns entrant et les autres sortant : toutes ces allées et venues faisaient un fourmillement terrible et immense dans les galeries.

Marguerite n’en continua pas moins d’aller en avant et parvint jusqu’à l’antichambre de la reine mère. Mais cette antichambre était gardée par deux haies de soldats qui ne laissaient pénétrer que ceux qui étaient porteurs d’un certain mot d’ordre.

Marguerite essaya vainement de franchir cette barrière vivante. Elle vit plusieurs fois s’ouvrir et se fermer la porte, et à chaque fois, par l’entrebâillement, elle aperçut Catherine rajeunie par l’action, active comme si elle n’avait que vingt ans, écrivant, recevant des lettres, les décachetant, donnant des ordres, adressant à ceux-ci un mot, à ceux-là un sourire, et ceux auxquels elle souriait plus amicalement étaient ceux qui étaient plus couverts de poussière et de sang.

Au milieu de ce grand tumulte qui bruissait dans le Louvre, qu’il emplissait d’effrayantes rumeurs, on entendait éclater les arquebusades de la rue de plus en plus répétées.

— Jamais je n’arriverai jusqu’à elle, se dit Marguerite après avoir fait près des hallebardiers trois tentatives inutiles. Plutôt que de perdre mon temps ici, allons donc trouver mon frère.

En ce moment passa M. de Guise ; il venait d’annoncer à la reine la mort de l’amiral, et retournait à la boucherie.

— Oh ! Henri ! s’écria Marguerite, où est le roi de Navarre ?

Le duc la regarda avec un sourire étonné, s’inclina, et, sans répondre, sortit avec ses gardes. […]

— Oh ! il est perdu, s’écria Marguerite alarmée par la vue de toutes ces figures sinistres, qui, lorsqu’elles ne respiraient pas la vengeance, exprimaient l’inflexibilité. — Oui, oui, je comprends tout… on s’est servi de moi comme d’un appât… je suis le piège où l’on prend et égorge les huguenots… 

Alexandre Dumas, La Reine Margot, Chapitre VII (1845)

Illustration de l’article : Alexandre Dumas, par Nadar  (1855) © Wikicommons

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