Chapitre 5 : J. Michelet, dans Histoire de France au seizième siècle (1836)

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Dans son récit de la Saint-Barthélemy, Michelet met en scène l’assassinat du savant calviniste Pierre de La Ramée, ou Ramus, tué à Paris le 26 août 1572, peut-être sur ordre de son ennemi Jacques Charpentier. Ce règlement de comptes sordide n’est ici que la sinistre caricature d’une guerre à mort entre le savoir humaniste et l’obscurantisme, que Michelet, en homme de son temps critique de l’Église catholique, assimile aux massacreurs.

Règlement de comptes au Collège de France

Dans cette bataille à coup sûr que Guise promettait à ses gens, la palme doit être accordée au capitaine Charpentier, capitaine et professeur, honnête bourgeois de la ville, riche, estimé, considéré, qui, dans ce jour d’énergie, se signala par la mort du plus dangereux révolutionnaire, du mortel ennemi de la scolastique, du novateur insolent Pierre Ramus, ou la Ramée.

Charpentier, fortement poussé, protégé des Guises, jusqu’à être fait Recteur à l’âge de vingt-cinq ans, ne dédaigna pas d’acheter une chaire de mathématiques au collège de France, pour l’explication d’Euclide et autres mathématiciens grecs. À quoi il avait un titre solide, de ne savoir (dit-il lui-même) ni grec, ni mathématiques.

Ramus et la majorité du collège de France réclamèrent au Parlement, qui décida qu’un examen préalable était nécessaire. Charpentier était si puissant, qu’il se moqua de la sentence, et enseigna sans examen, et sans dire un mot de mathématiques. Ainsi le but fut atteint, la chaire devint inutile. On commençait à comprendre (après Copernik qui se répandait) combien la lumière des mathématiques pouvait être dangereuse aux vieilles ténèbres. Charpentier rendit le service de fermer solidement cette porte aux sciences. […]

Ramus méritait la mort, et pour avoir détrôné l’Aristote scolastique, et pour avoir restauré dans l’enseignement l’harmonique unité des sciences, et pour avoir forcé la science à parler français ; mais bien plus la méritait-il pour avoir dit que le capitaine Charpentier était un âne, pour l’avoir laissé douze ans écrire contre lui, sans y faire attention. […]

Ce fut le mardi 26 août, quand la première fureur était calmée, quand les protestants étaient massacrés pour la plupart, mais qu’on glanait ici et là, chacun cherchant ses ennemis. […] Ils ne cherchèrent pas au hasard, mais allèrent droit à l’adresse, forcèrent la porte du collège, montèrent sans hésitation au cinquième, où Ramus avait son cabinet de travail. Ils le trouvèrent qui priait. L’un tira à bout portant, et pourtant si mal, qu’il tira à la muraille. L’autre, plus habile, lui passa une épée au travers du corps. Palpitant, on le jeta du cinquième étage.

Jules Michelet, Histoire de France au seizième siècle. Guerres de religion, Paris, 1836.

Illustration de l’article : Jules Michelet, par Thomas Couture (vers 1865) © Paris Musées / Musée Carnavalet

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