Chapitre 4 : Mérimée, dans Chronique du règne de Charles IX (1829)

RETOUR AU DOSSIER

Parue en 1829, la Chronique du règne de Charles IX remporte un vif succès et nourrit la vogue du roman historique. En dépit de son titre, l’œuvre est d’abord le récit des amours fictives du protestant Bernard de Mergy et de la catholique Diane de Turgis avec, en toile de fond, la Saint-Barthélemy et le siège de La Rochelle. La veine comique des mésaventures que valent au héros sa jeunesse et sa naïveté, la critique de la cour de Charles IX et la pitié due aux victimes des massacres, composent un drame héroï-comique évidemment favorable au camp protestant. Dans les derniers chapitres, une place prépondérante est donnée au capitaine de La Noue, figure historique modérée, ainsi qu’à Georges, le frère de Bernard, converti au catholicisme par politique, athée par conviction, et dont les choix semblent dictés par le refus obstiné de tout sectarisme.

Extrait 1 (Bernard de Mergy et La Noue, sur les remparts de La Rochelle) :

– C’est une horrible chose que la guerre, dit-il, mais une guerre civile !… Ce boulet a été mis dans un canon français ; c’est un Français qui a pointé le canon et qui vient d’y mettre le feu, et ce sont deux français que ce boulets a tués. Encore n’est-ce rien que de donner la mort à un demi-mille de distance ; mais, monsieur de Mergy, quand il faut plonger son épée dans le corps d’un homme qui vous crie grâce dans votre langue !… Et cependant nous venons de faire cela ce matin-même.

– Ah ! monsieur, si vous aviez vu les massacres du 24 août ! si vous aviez passé la Seine quand elle était rouge et qu’elle portait plus de cadavres qu’elle ne charrie de glaçons après une débâcle, vous éprouveriez peu de pitié pour les hommes que nous combattons. Pour moi, tout papiste est un massacreur…

– Ne calomniez pas votre pays. Dans cette armée qui nous assiège, il y a bien peu de ces monstres dont vous parlez. Les soldats sont des paysans français qui ont quitté leur charrue pour gagner la paye du roi ; et les gentilshommes et les capitaines se battent parce qu’ils ont prêté serment de fidélité au roi. Ils ont raison peut-être, et nous… nous sommes des rebelles.

– Rebelles ! Notre cause est juste ; nous combattons pour notre religion et pour notre vie.

– À ce que je vois, vous avez peu de scrupules ; vous êtes heureux, monsieur de Mergy.

Et le vieux guerrier soupira profondément.

– Morbleu ! dit un soldat qui venait de décharger son arquebuse, il faut que ce diable-là ait un charme ! Depuis trois jours je le vise, je n’ai pu parvenir à le toucher.

– Qui donc ? demanda Mergy.

– Tenez, voyez-vous ce gaillard en pourpoint blanc, avec l’écharpe et la plume rouges ? Tous les jours il se promène à notre barbe, comme s’il voulait nous narguer. C’est une de ces épées dorées de la cour qui est venue avec Monsieur.

– La distance est grande, dit Mergy ; n’importe, donnez-moi une arquebuse.

Un soldat remit son arme entre ses mains. Mergy appuya le bout du canon sur le parapet, et visa avec beaucoup d’attention.

– Si c’était quelqu’un de vos amis ? dit La Noue. Pourquoi voulez-vous faire ainsi le métier d’arquebusier ?

Mergy allait presser la détente ; il retint son doigt.

– Je n’ai point d’amis parmi les catholiques, excepté un seul… Et celui-là, j’en suis bien sûr, n’est pas à nous assiéger.

– Si c’était votre frère qui ayant accompagné Monsieur…

L’arquebuse partit ; mais la main de Mergy avait tremblé, et l’on vit la poussière produite par la balle assez loin du promeneur. Mergy ne croyait pas que son frère pût être dans l’armée catholique ; cependant il fut bien aise de voir qu’il avait manqué son coup. La personne sur laquelle il venait de tirer continua de marcher à pas lents, et disparut ensuite derrière les amas de terre fraîchement remuée qui s’élevaient de toutes parts autour de la ville.

Prosper Mérimée, Chronique du règne de Charles IX, Chapitre XXV (1829)

Extrait 2 (Mort de Georges) :

– Ah ! ah ! dit Georges, autre tourment ! Quoi ! ne me laissera-t-on pas mourir en paix ?

Il voyait s’avancer un ministre portant une Bible sous le bras.

– Mon fils, dit le ministre, lorsque vous allez…

– Assez, assez ! Je sais ce que vous allez me dire, mais c’est peine perdue. Je suis catholique.

– Catholique, s’écria Béville ! Tu n’es donc plus athée ?

– Mais autrefois, dit le ministre, vous avez été élevé dans la religion réformée ; et dans ce moment solennel et terrible, lorsque vous êtes près de paraître devant le juge suprême des actions et des consciences…

– Je suis catholique. Par les cornes du diable, laissez-moi tranquille !

– Mais…

– Capitaine Dietrich, n’aurez-vous point pitié de moi ! Vous m’avez déjà rendu un grand service ; je vous en demande un autre encore. Faites que je puisse mourir sans exhortations et sans jérémiades.

– Retirez-vous, dit le capitaine au ministre ; vous voyez qu’il n’est pas d’humeur à vous entendre.

La Noue fit un signe au moine, qui s’approcha sur le champ.

– Voici un prêtre de votre religion, dit-il au capitaine Georges ; nous ne prétendons point gêner les consciences.

– Moine ou ministre, qu’ils aillent au diable ! répondit le blessé.

Le moine et le ministre était chacun d’un côté du lit, et semblaient disposés à se disputer le moribond.

– Ce gentilhomme est catholique, dit le moine.

– Mais il est né protestant, dit le ministre ; il m’appartient.

– Mais il s’est converti.

– Mais il veut mourir dans la foi de ses pères.

– Confessez-vous, mon fils. N’est-ce pas que vous mourrez bon catholique ?…

– Écartez cet envoyé de l’Antéchrist ! s’écria le ministre, qui se sentait appuyé par la majorité des assistants.

Aussitôt un soldat, huguenot zélé, saisit le moine par le cordon de sa robe, et le repoussa en lui criant :

– Hors d’ici, tonsuré ! gibier de potence ! Il y a longtemps qu’on ne chante plus de messe à La Rochelle.

– Arrêtez, dit La Noue, si ce gentilhomme veut se confesser, je jure ma parole que personne ne l’en empêchera.

– Grand merci, monsieur La Noue, dit le mourant d’une voix faible.

– Vous en êtes tous témoin, dit le moine, il veut se confesser.

– Non, le diable m’emporte !

– Il revient à la foi de ses ancêtres ! s’écria le ministre.

– Non, mille tonnerres ! Laissez-moi tous les deux. Suis-je déjà mort, pour que les corbeaux se disputent ma carcasse ? Je ne veux ni de vos messes, ni de vos psaumes.

– Il blasphème, s’écrièrent à la fois les deux ministres des cultes ennemis.

Prosper Mérimée, Chronique du règne de Charles IX, Chapitre XXVII (1829)

Illustration de l’article : Prosper Mérimée par Simon-Jacques Rochard, vers 1850 © Paris Musées / Musée Carnavalet

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