Chapitre 2 : Voltaire dans La Henriade (1728)

RETOUR AU DOSSIER

Promulgué en 1598 par Henri IV pour mettre fin aux guerres de religion, l’édit de Nantes accorde une égalité de droits aux catholiques et aux protestants tout en limitant l’autorisation du culte réformé à certains lieux. La communauté protestante adopte alors une discrétion prudente au sujet de la Saint-Barthélemy. Mais la révocation de l’édit par Louis XIV en 1685 et les persécutions qui en résultent redonnent une actualité brûlante aux massacres du 24 août. Au siècle suivant, la Saint-Barthélemy devient ainsi dans l’esprit des Lumières le symbole du fanatisme. Dans La Henriade, poème épique d’abord publié sous le titre de La Ligue ou Henri le Grand, Voltaire fait de Coligny le « plus grand des Français », au nom de la tolérance religieuse.

Du plus grand des Français tel fut le triste sort.
On l’insulte, on l’outrage encore après sa mort.
Son corps, percé de coups, privé de sépulture,
Des oiseaux dévorants fut l’indigne pâture ;
Et l’on porta sa tête aux pieds de Médicis,
Conquête digne d’elle, et digne de son fils.
Médicis la reçut avec indifférence,
Sans paraître jouir du fruit de sa vengeance,
Sans remords, sans plaisir, maîtresse de ses sens,
Et comme accoutumée à de pareils présents.

Qui pourrait cependant exprimer les ravages
Dont cette nuit cruelle étala les images ?
La mort de Coligni, prémices des horreurs,
N’était qu’un faible essai de toutes leurs fureurs.
D’un peuple d’assassins les troupes effrénées,
Par devoir et par zèle au carnage acharnées,
Marchaient le fer en main, les yeux étincelants,
Sur les corps étendus de nos frères sanglants.
Guise était à leur tête, et, bouillant de colère,
Vengeait sur tous les miens les mânes de son père.
Nevers, Gondi, Tavanne un poignard à la main.
Échauffaient les transports de leur zèle inhumain ;
Et, portant devant eux la liste de leurs crimes,
Les conduisaient au meurtre, et marquaient les victimes.

Je ne vous peindrai point le tumulte et les cris,
Le sang de tous côtés ruisselant dans Paris,
Le fils assassiné sur le corps de son père,
Le frère avec la sœur, la fille avec la mère,
Les époux expirant sous leurs toits embrasés,
Les enfants au berceau sur la pierre écrasés :
Des fureurs des humains c’est ce qu’on doit attendre.

Mais ce que l’avenir aura peine à comprendre,
Ce que vous-même encore à peine vous croirez,
Ces monstres furieux, de carnage altérés,
Excités par la voix des prêtres sanguinaires,
Invoquaient le Seigneur en égorgeant leurs frères ;

Et, le bras tout souillé du sang des innocents,
Osaient offrir à Dieu cet exécrable encens.

Voltaire, La Henriade, Chant II.

Illustration de l’article : François-Marie Arouet, dit Voltaire © Wikicommons

Print Friendly, PDF & Email
Retour en haut