André Breton, l’inventeur et l’âme du surréalisme

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Article de Michel Murat, professeur de littérature française à l’université Paris-Sorbonne

Texte paru en 2016 pour le cinquantenaire de la mort d'André Breton

André Breton, l’inventeur et l’âme du surréalisme, est né le fils unique d’une famille petite-bourgeoise. Il entreprend des études de médecine et de psychiatrie, qu’il abandonnera ; en 1916 il découvre la psychanalyse. C’est une expérience décisive, non moins que la rencontre de Jacques Vaché, un dandy nihiliste qui se suicide peu après l’armistice. Breton quant à lui a mené la vie d’un homme de lettres parisien, plutôt casanier, enclin aux rituels. La seule coupure est celle de l’exil à New York, de 1940 à 1946.

Breton hérite du symbolisme, avant qu’Apollinaire et Reverdy lui montrent les voies d’une poésie moderne ; il emprunte au premier le mot « surréalisme », au second sa théorie de l’image. Il inscrit ces emprunts dans un panthéon personnel que dominent Rimbaud, Lautréamont et Jarry ; il leur associe des peintres, d’abord Picasso et Derain, puis De Chirico, Duchamp, Picabia et Max Ernst : ces noms, et avec eux l’essentiel du surréalisme, sont réunis dans Les Pas perdus (1924). À la fin de la guerre, Breton a rencontré ses pairs, Aragon et Éluard ; dès 1919 il a pratiqué l’écriture automatique et placé son oeuvre sous le signe de l’inconscient. Il a traversé le dadaïsme sans changer de ton. Le Manifeste de 1924 cristallise ces essais dans un système, en définissant le surréalisme comme « automatisme psychique pur ». En 1929, le Second Manifeste tranche une grave crise interne, provoquée par l’adhésion au parti communiste, par une série d’exclusions accompagnée d’un rappel aux principes. D’interventions en ruptures, Breton maintiendra jusqu’à sa mort le mouvement sur une ligne subversive et libertaire, avec un antistalinisme de plus en plus décidé. Une part de son oeuvre est donc indissociable du surréalisme, dont elle illustre les pouvoirs par un essor lyrique et libre de la pensée. La poésie de Breton est déterminée par l’expérience de l’automatisme : il signe Les Champs magnétiques (1919) avec Soupault, et L’Immaculée Conception avec Éluard en 1930 ; entre les deux, les « historiettes » de Poisson soluble déploient un texte féerique, éblouissant jusqu’au malaise. Le poème fait loi, dessine les lignes du désir : Tournesol, écrit en 1923, sera relu en 1934 comme une prophétie de la rencontre amoureuse. Mais c’est comme essayiste que Breton est entré dans le canon littéraire. Les manifestes sont indissociablement des pamphlets et des poèmes ; plus que des avantgardes, leur style procède du romantisme aristocratique où s’étaient illustrés Chateaubriand, Baudelaire et le jeune Barrès : en 1923, La Confession dédaigneuse monte des ruines de la guerre comme la voix d’un nouveau mal du siècle. Nadja (1928), Les Vases communicants (1932) et L’Amour fou (1937) forment une sorte de trilogie qui renouvelle, avant Leiris et Sartre, le genre de l’autobiographie. Nadja, une jeune femme en qui semble s’incarner l’esprit du surréalisme, noue avec Breton une brève et inégale idylle avant de basculer dans la folie ; son histoire est relatée comme un « journal de bord » dont le style objectif et l’insertion de documents accentuent le caractère de témoignage. Cependant la pensée philosophique lutte avec l’invention poétique : dans Les Vases communicants, l’épisode de la rencontre amoureuse forme une sorte d’intermède entre la théorie freudienne du rêve et les impératifs de la lutte des classes. Dans L’Amour fou, livre de la synthèse, Breton soumet l’amour humain aux lois du hasard objectif. L’autre synthèse du surréalisme est l’Anthologie de l’humour noir, conçue vers 1936 et bloquée par la censure en 1940 ; elle marque le siècle du sceau d’une formule vite passée dans la langue. Arcane 17, écrit pendant l’exil américain, sera le livre d’Élisa ; le titre signale la place croissante que prend après la guerre, dans l’esprit de Breton, la tradition occulte. Breton, que Valéry qualifiait de « jeune voyant des choses », est aussi le plus grand critique d’art du siècle. Il élabore une esthétique fondée sur le refus des codes, l’ouverture de « l’échelle de la vision » à toute manifestation sensible et la matérialisation d’un « modèle purement intérieur ». Le Surréalisme et la peinture (1928) établit une lignée qui va des modernes aux surréalistes, puis à Masson, Miró, Tanguy et Arp, intègre l’apport de Dalí et Giacometti, et s’élargit du côté des primitifs, de l’art populaire, des « naïfs » et des fous. Breton les collectionnait tous ; il a vécu dans un monde d’images où il cherchait sans relâche les linéaments de sa propre vie.

Nous voici un demi-siècle après sa mort. Le surréalisme est entré dans l’histoire et s’est empreint dans la culture commune. Breton a été édité dans La Pléiade, exposé à Beaubourg où se dresse pour toujours, immobile derrière une vitre, le « mur » de l’atelier de la rue Fontaine ; ses collections ont été dispersées. Il n’a pas de successeur. Mais il reste présent à tous ceux qui n’ont pas renoncé à chercher l’or du temps.

Source: Commémorations Collection 2016

 

Crédits images :

Revue Surréalisme, numéro d’octobre 1924 © Gallica/BnF

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