Alphonse Laveran : un parasitologiste en pleine révolution pasteurienne

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Par Philippe Sansonetti, membre de l’Académie des sciences, membre de l’Académie nationale de médecine


Le quart de siècle séparant la découverte d’Alphonse Laveran de son prix Nobel en 1907 traduit, on tend à l’oublier, le scepticisme de la communauté des sciences médicales.  Beaucoup étaient encore « aéristes », fidèles aux miasmes, surtout pour une maladie du mauvais air comme la « mal’ aria ». Quant aux « contagionistes », une bactérie eut été tellement plus dans « l’air du temps ». Mais un « protozoaire endoglobulaire » comme l’observait Laveran sur les frottis sanguins de ses patients, était-ce une hypothèse bien sérieuse de la part de ce médecin militaire qui n’avait pas même encore suivi le « Grand Cours » de l’Institut Pasteur ? N’oublions pas que dans la décennie 1873-82 furent découverts le bacille lépreux et tuberculeux, le streptocoque, le staphylocoque et le bacille de la typhoïde…

Miasmes, bactéries et parasites

Le destin de la première note sur la découverte d’Alphonse Laveran à l’Académie de Médecine en novembre 1880 est à cet égard édifiant. Cette note communiquée par Léon Colin, un de ses confrères du Val de Grâce, intitulée « Note sur un nouveau parasite trouvé dans le sang de plusieurs malades atteints de fièvre palustre » (2ème série, IX, 1235-36), comporte d’après le grand parasitologue Jean-Claude Petithory 12 lignes de présentation de la découverte, suivies de 23 lignes de discussion critique : « En rappelant à l’Académie les doutes que j’ai émis sur la nature animée des germes de l’intoxication tellurique, doutes basés sur des considérations qui seraient trop longues à rapporter ici, mais la principale étant la non contagiosité d’une affection qui ne parait pas, comme les ferments animés, pouvoir se reproduire dans l’organisme ». Et le manuscrit d’Alphonse Laveran qu’introduisait cette communication ne fut jamais publié… On croit entendre Max von Pettenkofer réfutant en 1892 la responsabilité du vibrion cholérique récemment découvert par Robert Koch comme la cause du choléra… Ce furent les maîtres eux-mêmes, Louis Pasteur et Camillo Golgi qui pesèrent de tout leur poids afin que cette découverte inédite soit progressivement acceptée. La marque du génie est peut-être la capacité de s’affranchir des dogmes que l’on a contribué soi-même à établir… Mais le chemin de la reconnaissance fut difficile.

Du traitement de la maladie à sa cause : une histoire à rebours

Alphonse Laveran avait même émis l’hypothèse de la transmission de ce protozoaïre par un insecte vecteur piqueur, le moustique. Cette hypothèse tout aussi novatrice fut confirmée en 1897 par un médecin et entomologiste anglais, Ronald Ross qui reçut lui-même le Prix Nobel pour cette découverte en 1902. Son travail expérimental chez l’oiseau, non seulement établissait la transmission vectorielle par le moustique femelle ; mais apportait les éléments nécessaires à compléter les « postulats de causalité de Koch ». Giovanni-Battista Grassi, en Italie, compléta le travail en démontrant la transmission chez l’homme.

Curieuse l’histoire scientifique que celle du paludisme et un peu à rebours. C’est une des rares maladies contre laquelle un traitement adapté fut développé avant la découverte de l’agent pathogène. En effet, dès 1820, deux pharmaciens-chimistes français, Pierre-Joseph Pelletier et Joseph Caventou, grâce à la mise au point de l’extraction du principe actif de certaines plantes par des solvants doux, les alcaloïdes, réalisent l’extraction, la purification et la présentation sous forme de poudre dosable de deux médicaments appelés à un grand avenir : la strychnine, un neurostimulant, à partir de la noix de vomique et la quinine, puissant antipaludéen, à partir du quinquina. Contributions pionnières de ce qui deviendrait la chimie thérapeutique.

 

À lire :

Histoire des Sciences Médicales. TOME XIX, N°1.

À PROPOS DE LA DÉCOUVERTE DE L’HÉMATOZOAÏRE DU PALUDISMA PAR A LAVERAN. BÔNE 1878-CONSTANTINE 1880. JEAN-CLAUDE PETITHORY. 1995

 

Crédits photos :

Illustration de l’article : Le paludisme Plasmodium  © Dr. Mae Melvin, USCDCP / Pixnio

 

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