Agnès Sorel, figure iconique du règne de Charles VII

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Article de Jean-François Thull, historien, directeur de la Cité royale de Loches


Née la même année que celle de l’avènement de Charles VII, Agnès Sorel est étroitement associée dans l’imaginaire national au règne du « Bien Servi ».

La formation et l’avènement d’une favorite

La relation entre le souverain et sa future favorite prend forme au début des années 1440, à la faveur d’une rencontre entre la Cour d’Anjou – au sein de laquelle cette demoiselle d’atours de la duchesse Isabelle de Lorraine (1410-1453) a été formée avec soin et où elle révèle son tempérament et son savoir-être – et la Cour de France. Subjugué par l’éclat de cette jeune suivante, le souverain la fait promptement passer au service de la reine Marie d’Anjou (1404-1463).

La faveur royale se traduit bientôt par des donations importantes qui ponctueront une relation dont il demeure difficile d’attester la réciprocité. Si le roi est ébloui par le charme et le bel esprit de celle qu’il a désigné comme sa favorite, on ignore la réalité des sentiments d’Agnès Sorel pour le souverain Valois. Dérogeant aux usages, celui-ci ne la marie pas avec un membre de la Cour, et la maintient dans son entourage immédiat, signe de la faveur insigne qu’il lui accorde.

La question très débattue de son influence auprès de la Cour

L’intégration d’Agnès Sorel au sein de la Cour de France vers 1443 est contemporaine d’une période faste pour le souverain qui bénéficie de l’apport de conseillers fidèles et compétents qui concourent significativement à la consolidation de l’État royal et à la reconstruction économique du royaume malmené par les épreuves de la guerre de Cent Ans. Ces hommes de confiance sont, pour une part significative d’entre eux, des proches de la favorite. La confiance qui leur est accordée par Charles VII se fonde ainsi sur leur proximité avec Agnès Sorel : celle-ci devient ce faisant la cible du clan du dauphin Louis (futur Louis XI) qui tente de toucher le roi à travers sa favorite.

Le statut exceptionnel dont bénéficie Agnès Sorel au sein de la Cour se traduit également par de fréquentes résidences dans les lieux favoris du souverain (Loches, Chinon, Mehun sur Yèvre, Bourges). L’attachement singulier d’Agnès Sorel pour Loches se manifeste, outre par des résidences fréquentes (une quinzaine d’occurrences sont relevées entre 1443 et 1450), par des donations importantes à la Collégiale Notre-Dame de Loches.

La mort prématurée d’Agnès Sorel dans sa vingt-huitième année (1450), conséquence d’un « flux de ventre », et plus précisément d’un empoisonnement au mercure depuis les résultats de l’analyse paléopathologique réalisée en 2005, clôt brutalement la trajectoire brillante de la favorite de Charles VII. Toutefois, celle-ci bénéficie dès sa mort d’une reconnaissance posthume qui prend la forme du gisant que le souverain lui fait ériger dans la Collégiale Notre-Dame de Loches. Celui-ci, de marbre et d’albâtre, rend ainsi un hommage solennel à Agnès Sorel qui se voit reconnaître le rang de duchesse.

La vitalité exceptionnelle du souvenir d’Agnès Sorel

Cette image ne connait guère d’éclipses mais bien davantage une féconde postérité consacrée par une série de portraits avec, en arrière-plan, l’œuvre référentielle du peintre tourangeau Jean Fouquet (v.1420 – 1481), La Vierge et l’Enfant entourés d’anges dite la Vierge de Melun (v.1452-1455), qui transfigure les traits de la favorite. La prégnance de l’image d’Agnès Sorel traduit, dès la deuxième moitié du XVe siècle, l’aura dont celle-ci bénéficie dans l’imaginaire collectif. Cette iconographie traverse toute la période moderne et connaît un regain à l’époque contemporaine, singulièrement au XIXe siècle où elle est mise en exergue par les artistes rattachés au style troubadour.

La mise en concurrence posthume avec Jeanne d’Arc, l’autre grande figure féminine du règne de Charles VII, est à l’origine de deux approches contrastées du personnage de la favorite royale : la femme vertueuse qui concourt au salut du royaume en sortant le roi de son indécision sinon de sa léthargie versus l’intrigante qui dévoie le souverain et l’écarte de son devoir.

Devenue une figure iconique, sujette à des (ré-)interprétations multiples au gré des modes du temps, Agnès Sorel conserve dans l’histoire et la mémoire nationale une place unique. Sans véritable devancière ni héritière parmi les favorites royales qui lui succèdent, elle conserve une image toujours saillante, signe de la dimension exceptionnelle du personnage et de son écho d’une époque à l’autre.

À lire :

CHAUSSINAND-NOGARET Guy, Les femmes du roi. D’Agnès Sorel à Marie-Antoinette, Paris, 2012

CONTAMINE Philippe, Charles VII. Une vie, une politique, Paris, 2017

HENNEAU Marie-Elisabeth et MARCHANDISSE Alain (dir.), Maîtresses et favorites dans les coulisses du pouvoir du Moyen Âge à l’Époque moderne, Saint-Etienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2019.

Jean Fouquet, La Vierge et l’Enfant entourés d’anges, vers 1452-1455 Bois (chêne). Dimensions : 94,5 x 85,5 cm
Anvers, Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, Inv. 132
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