Louise Labé : un humanisme au féminin

RETOUR AU DOSSIER

Par Élise Rajchenbach, maîtresse de conférences en littérature française de la Renaissance à l’Université Jean-Monnet Saint-Étienne, Institut universitaire de France


Lorsqu’en 1555 paraît son unique livre, Louise Charly, dite Labé, est l’une des premières autrices françaises vivantes à imprimer ses textes. Fille d’un riche marchand cordier, elle naît entre 1520 et 1524 à Lyon, l’un des berceaux de la Renaissance française. Si les légendes qui s’entremêlent à sa vie ont contribué au déploiement des imaginations, le travail récent sur les archives permet d’affiner les connaissances sur la vie de l’autrice ainsi que sur les conditions qui ont permis l’éclosion de ses écrits.

Une femme indépendante

Louise Labé bénéficie d’une éducation visiblement soignée avant d’épouser vers 1545 le cordier Ennemond Perrin. Après son mariage, elle loge à la lisière du quartier des imprimeurs. Elle entretient des liens étroits avec les milieux italiens, riches et cultivés, comme en témoigne sa familiarité avec le banquier florentin Tomaso Fortini. Propriétaire foncière aisée, elle s’avère une habile gestionnaire de ses biens ainsi qu’une femme d’affaires avertie qui place son argent en son nom propre, dénotant une indépendance rare. Cette autonomie, ses fréquentations ainsi que la publication de ses textes peuvent expliquer la réputation sulfureuse qui s’attache à celle qu’on surnomme « la Cordière de Lyon » et qui se superpose en partie avec une figure du même nom qui apparaît dans des textes, chansons satiriques ou lors de controverses religieuses se développant alors. C’est dans un royaume ravagé par les violences interreligieuses que Louise Labé s’éteint, en février 1566, dans sa propriété de Parcieux, en Dombes.

Les Œuvres de Louise Labé Lyonnaise : un appel aux dames

Ancrée dans une ville italianisante relativement favorable aux femmes, la publication des Œuvres de Louise Labé Lyonnaise à l’été 1555 chez l’imprimeur Jean de Tournes constitue un geste fort, perceptible dès le titre : l’emploi du substantif « Œuvres » pour désigner les créations d’un auteur vivant en voie de patrimonialisation est récent. Il participe de l’affirmation d’une autrice qui dissémine son nom sur la page de titre ainsi qu’au fil de l’ouvrage, et qui a demandé en son nom un privilège royal pour protéger le livre. Celui-ci s’ouvre sur une épître dédicatoire adressée à Clémence de Bourges, une jeune femme lettrée issue d’une famille patricienne lyonnaise. Affirmant l’avènement d’une nouvelle ère où les femmes auraient désormais accès à l’étude et aux savoirs, Labé appelle son interlocutrice et plus largement les femmes à écrire et à publier en des accents proto- féministes :

Mais ayant passé partie de ma jeunesse à l’exercice de la Musique, et ce qui m’a resté de temps l’ayant trouvé trop court pour la rudesse de mon entendement, et ne pouvant de moi-même satisfaire au bon vouloir que je porte à notre sexe, […] je ne puis faire autre chose que prier les vertueuses Dames d’élever un peu leurs esprits par-dessus leurs quenouilles et fuseaux […].

La publication de ses œuvres est présentée comme un exemple à suivre et à dépasser par d’autres femmes. Labé s’insère dans une communauté féminine unie par une forme de sororité qui parcourt le livre :

Si la publication des Œuvres et l’exposition d’un sujet lyrique dévasté par l’amour affectent la réputation de l’autrice de « Baise m’encor, rebaise-moi et baise… », ses éloges par divers poètes en clôture du recueil légitiment l’autrice et apportent une caution masculine à une publication féminine potentiellement indécente, en reprenant le modèle des recueils poétiques publiés par des autrices italiennes.

L’amour entre théorie et pratique

Le recueil offre une exploration littéraire et savante de l’amour, fondée sur une bipartition entre prose et vers, ainsi que sur un tissage interne des textes. En imaginant l’origine de l’aveuglement d’Amour, imputé à une chamaillerie du dieu enfant avec la déesse Folie, le « Débat de Folie et d’Amour » propose un dialogue théorique et joyeusement irrévérencieux sur l’amour. Quant au lyrisme des vers des 3 élégies et des 24 sonnets, il en constitue le pendant pratique, faisant vibrer les notes plaintives et brûlante de l’amante abandonnée :

Empruntant la voie d’un humanisme au féminin, Louise Labé s’inscrit ainsi dans la lignée d’une Christine de Pizan, Marguerite de Navarre ou, plus tard, Marie de Gournay, qui ont chacune revendiqué un accès des femmes à l’éducation, aux savoirs et à la littérature.

À lire :

Œuvres :

Louise LABÉ, Œuvres, éd. Michèle Clément et Michel Jourde, Paris, GF, 2022, 404 p.

Biographies et ouvrages critiques :

Madeleine LAZARD, Louise Labé, Paris, Fayard, 2004, 290 p.

Élise RAJCHENBACH, Louise Labé. La rime féminine, Paris, Calype, collection « Destins », 2024, 112 p.

 

Crédits images :

Illustration d’accueil :  Master of Flora, The Birth of Cupid, 1550-1599 © The Met Museum

Illustration du chapô : Portrait de Louise Labé, Etude biographique et bibliographique sur Claudius, Brouchoud Félix Desvernay, 1887 © Gallica/BnF

Illustration de l’article : Hartmann Schedel, Nuremberg Chronicle, 1493 © Wikimedia Commons

Illustration de la bibliographie : Timbre hommage Louise Labé, conçu par Eloïse Oddos, 2016-2017 © WikiTimbres

Print Friendly, PDF & Email
Retour en haut