Programmes de l’enseignement scolaire identiques pour les filles et les garçons

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Par Rebecca Rogers, professeure à l'université Paris Descartes, spécialiste de l'histoire de l'éducation féminine en France au XIXᵉ siècle


Par simple décret, le 25 mars 1924, le Ministre de l’Instruction Publique, Léon Bérard, institue ce que les contemporains appellent « l’identification » ou « l’assimilation » de l’enseignement secondaire féminin à l’enseignement secondaire masculin. Cette mesure, qui ouvre officiellement aux jeunes filles la possibilité de préparer le baccalauréat comme les garçons, est salué avec joie par Jeanne Crouzet-Benaben, l’une des artisanes les plus acharnées d’un enseignement secondaire féminin plus égalitaire. Celle-ci écrit dans la Revue Universitaire : « Aujourd’hui, la réforme de l’enseignement secondaire féminin, si longuement attendue, d’une part, si passionnément discutée, de l’autre, est enfin chose faite ». Très concrètement, le décret institue une filière facultative dans les lycées et collèges « dont la sanction est le baccalauréat ». Pour préparer aux épreuves du baccalauréat, il est prévu que les programmes de l’enseignement des garçons soient intégralement appliqués chez les filles, sans pour autant supprimer quelques matières spécifiquement féminines : « l’économie domestique, les travaux à l’aiguille et la musique ».

L’enseignement secondaire féminin depuis 1880

Pour saisir la portée de cette mesure, il convient de revenir sur les caractéristiques de l’enseignement secondaire féminin, « si passionnément discutée ». En effet, depuis la loi Camille Sée du 21 décembre 1880, existe en France un enseignement secondaire public féminin aux contours nettement distincts de ce qui existe pour les garçons. Réservés de par leur coût aux jeunes filles des classes moyennes ou bourgeoises, les premiers lycées et collèges de jeunes filles sont dotés de programmes modernes où ne figurent ni l’étude du latin ni celle du grec, indispensables pour passer le baccalauréat. Les législateurs de l’époque proclament d’ailleurs la visée résolument désintéressée de l’enseignement secondaire féminin qui ne permet pas la poursuite d’études à l’Université. Dans son rapport qui précède le vote de sa loi, Camille Sée précise que la nouvelle lycéenne ou collégienne a besoin d’étudier « les langues, la littérature, les sciences » pour construire les « fondements du bonheur de toute sa vie. Elle entrerait ensuite dans une famille, parée de toutes les grâces de l’esprit et prête à remplir ses devoirs de mère, c’est-à-dire d’institutrice. » Cette visée domestique et maternelle des études secondaires féminines est rapidement remise en cause non seulement par un mouvement féministe naissant, mais aussi par les familles et les élèves qui ont d’autres ambitions au terme d’études longues et coûteuses.

Bachelières malgré tout

De la veille de la Première Guerre mondiale au début des années 1920, les programmes féminins font l’objet d’une insatisfaction grandissante avec un double phénomène qui se fait jour : d’une part, en province, les familles demandent l’autorisation d’admettre leurs filles dans des établissements masculins pour préparer le baccalauréat. D’autre part, l’ensemble des lycées féminins parisiens préparent officieusement le baccalauréat, avec des résultats honorables. Il est vrai que les établissements publics sont concurrencés par des établissements privés, comme le Collège Sévigné, qui prépare depuis le début du siècle aux épreuves du baccalauréat. Ce contexte explique la création d’une commission extra-parlementaire en 1917 pour « examiner les modifications à apporter à l’organisation des études et aux sanctions de l’enseignement des jeunes filles ». C’est à l’occasion des débats provoqués par cette commission que Jeanne Crouzet-Benaben proteste contre la création d’un baccalauréat féminin qui ne ferait que renforcer la perception qu’il existe des savoirs féminins distincts, et inférieurs, aux savoirs masculins. Les projets de réforme de la commission sont donc restés mort-né ; aucun baccalauréat féminin ne verra le jour.

Les limites du décret Bérard

Lorsque Léon Bérard présente son décret, il en atténue la portée radicale en insistant sur la mise en place d’une filière facultative : « Mon ambition a été de rendre accessible, d’une part, à une élite d’enfants la culture classique, et d’offrir, d’autre part, à la grande majorité des jeunes filles de nos lycées, qui n’a eu en vue que la vie du foyer, l’éducation élevée que le législateur de 1880 lui avait destinée. » Il ne dit pas mot des implications plus structurelles que sa réforme implique : le besoin de former des enseignantes aux humanités classiques qui font partie dorénavant partie du programme féminin. L’assimilation des programmes pose ainsi en arrière fond la distinction entre agrégations masculines et féminines, sans parler des différences de salaires entre agrégés et agrégées. Dans les années qui suivent, d’autres décrets établissent l’égalité des salaires et des services pour les agrégées et agrégés ; de leur côté, les lycéennes délaissent la filière « féminine » de leurs établissements en plébiscitant les études menant au baccalauréat.

À lire :

Françoise MAYEUR, L’enseignement secondaire des jeunes filles sous la Troisième République, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1977

Yves VERNEUIL, Les agrégés. Histoire d’une exception Française, Paris, Belin 2005

 

Crédits images :

Illustration d’accueil : André Payan-Passeron, Lycée de jeunes filles, année scolaire 1956-57 © Wikimedia Commons

Illustration du chapô : Manuscrit d’Alphonse Darlu, Fonds Marcel Proust. I — ŒUVRES DIVERSES. I Papiers scolaires © Gallica/BnF

Illustration de l’article :  Fronton d’origine de l’ancien lycée de Jeunes filles du Mans, rue Berthelot, 26 juin 2009 © Wikimedia Commons

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