Mort de Cambacérès

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Par Laurence Chatel de Brancion, historienne


La naissance de Jean-Jacques-Régis de Cambacérès le 18 octobre 1753, est bienvenue après la mort des neuf enfants précédents, dans cette famille notable montpelliéraine, engagée de longue date dans la magistrature et la finance. Elle sera suivie par celle d’un frère, futur cardinal. 

De la faculté de droit à la Convention nationale 

Jean de Cambacérès suit des études à la faculté de droit, dont il est licencié en 1772. Par tradition familiale, il entre dans l’Ordre des Pénitents Blancs, qui prodiguent assistance aux malades, sépulture aux indigents, et rachat des esclaves. Son père, magistrat, maire réformateur de Montpellier, est balayé lorsqu’il s’attaque aux abus perpétrés par l’intendant du roi. Le fils n’oubliera pas. 

Entré à la Cour des comptes du Languedoc avec dérogation d’âge, il perfectionne ses connaissances, comme en témoignent ses traités de droit conservés au Japon. Il suit les travaux de sa loge maçonnique, et voyage à travers le royaume avec son ami, Jean Chaptal. 

En mars 1789, lors de l’élection aux États Généraux, Cambacérès est élu député en second pour la noblesse, mais malgré l’augmentation de sa population, Montpellier n’obtient pas ce second siège, et son élection est annulée. Déception pour le magistrat qui est élu procureur-syndic de la ville, chargé de l’application des réformes votées par l’Assemblée constituante, dont la vente des biens du clergé, désormais confiné à l’éducation des âmes. Il est bientôt élu président du premier Tribunal criminel de l’Hérault, expérience qui le marque profondément. 

Enfin, le 2 septembre 1792, Cambacérès est élu député à la Convention, et part pour Paris. 

La réforme des institutions françaises : un ambitieux projet 

Président du comité de législation, installé comme l’Assemblée aux Tuileries, il supervise les tribunaux, la rédaction des lois et leur diffusion. Ayant défini la procédure contre le roi, lui-même ne vote pas la mort. 

En août 1793, il présente un projet de Code civil très novateur, instaurant la gestion commune des biens par les époux, le divorce, la reconnaissance des enfants naturels, l’adoption, le principe de responsabilité, mais l’assemblée le rejette. Le régime glisse vers la Terreur. Fin 1794, un deuxième projet est à peine discuté car, Robespierre renversé, Cambacérès accède au gouvernement et doit faire face à la guerre tant aux frontières qu’à l’intérieur. 

Il fait voter la création de l’Imprimerie de la République, lui conférant le monopole de l’impression des documents administratifs, afin d’éviter les redoutables confusions des textes officiels. Sont aussi créés l’École Normale pour former des enseignants, l’École des Langues orientales, l’École polytechnique issue de l’École centrale des Travaux publics, l’Institut pour Sourds et muets, l’Institut pour les Aveugles. Mais qu’enseigner en droit ? les anciennes lois, périmées ? les mesures prises dans l’urgence révolutionnaire ? 

Sous le Directoire, député au Conseil des Cinq Cents, Cambacérès présente en vain un troisième projet de Code civil. Non réélu en 1797, il crée avec succès un cabinet juridique et fiscal à Paris, dont les clients sont les principaux financiers du pays. 

Sous le Consulat et l’Empire, le deuxième personnage de l’État 

Nommé ministre de la Justice en 1799, il centralise à nouveau, par l’intermédiaire des tribunaux, les informations du pays. Le général Bonaparte, qui dîne chez lui le 17 Brumaire, le choisit comme Second Consul. Cambacérès utilise son expérience politique et ses liens avec les milieux économiques pour consolider le régime. Il dirige le Conseil d’État dont il fait l’atelier des lois : un Code civil est enfin voté en 1804, beaucoup plus conservateur, ce qui fait dire à Cambacérès: « Les institutions sont l’ouvrage des siècles. » 

Nommé archichancelier de l’empire, malgré son opposition à la recréation d’une monarchie héréditaire, il poursuit l’œuvre législative : codes de commerce, pénal, procédure, etc. Il inspire la création de la Cour des comptes, des Auditeurs au Conseil d’État, vivier pour la haute administration. 

Il remplace l’empereur lors de ses absences longues et fréquentes. Napoléon lui fait confiance et le couvre d’honneurs. Grimod de la Reynière le déclare prince des amphitryons. Soucieux de restructurer la société, il patronne les obédiences maçonniques et la gestion d’une noblesse originale. 

Lorsque Napoléon veut supprimer la représentation nationale, Cambacérès diffère jusque fin 1813. Il revient aux Cent-Jours puisque Napoléon revient à la constitution. 

En 1816, fuyant la Terreur blanche, il se réfugie en Belgique. Rentré à Paris en 1818, il écrit ses Mémoires et meurt le 8 mars 1824. 

Discrédité par les royalistes qui craignent ses révélations en ces temps troublés, il est occulté par les bonapartistes qui ne peuvent reconnaître ses mérites sans relativiser ceux de leur héros. Les moralistes désavouent ses positions sur le divorce, l’adoption, les droits des enfants naturels. 

La découverte et la publication de ses archives en 1999 et 2001 éclaire enfin le rôle essentiel de ce Père fondateur de la France moderne. Une exposition au Japon, bientôt à Montpellier lui rendent hommage. 

À lire : 

Jean-Jacques Régis de Cambacérès (Présentation et notes par J. Tulard), Lettres inédites à Napoléon, Paris, Klincksieck, 1973 

Jean-Jacques Régis de Cambacérès (Introduction et notes de L. Chatel de Brancion. Préface de J. Tulard),  Mémoires inédits. Éclaircissements publiés par Cambacérès sur les principaux événements de sa vie politique, Paris, Perrin, 1999, 2 vol.  

Laurence Chatel de Brancion, Cambacérès, Paris, Perrin, 2001, 2009,  (nouvelle édition en cours) 

Louis Faivre d’Arcier, Cambacérès : L’art de servir tous les régimes, Paris, Belin, 2015 

Crédits images

Illustration d’accueil : Georges Rouget, Napoléon Ier reçoit à Saint-Cloud le Senatus-Consulte qui le proclame empereur des Français, 1837© Wikimedia Commons

Illustration du chapô : Jean-Jacques Régis de Cambacérès, duc de Parme French statesman, Archchancellor of the Empire, engraving by an unnamed artist, 19th century © Bridgeman Images

Illustration de l’article : Félix Philippoteaux, Jean Jacques Regis de Cambaceres (1753-1824) exhibiting at Bonaparte, then First Consul, and to his brothers Joseph and Lucien, his ingenious combination to make him named Bonaparte Consul a vie, circa 1804 © Bridgeman Images

 

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