Mort de Georges Pompidou

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Notice d'Éric Roussel, membre de l’Académie des sciences morales et politiques


« J’étais radical. Il était socialiste, un socialiste plutôt remuant. Nous ne nous sommes pas beaucoup fréquentés ». Tel était le souvenir que Pierre Mendès France gardait du jeune Georges Pompidou, entrevu à la fin des années 1920 alors qu’ils militaient tous deux au sein de la ligue d’action universitaire républicaine et socialiste – une organisation ardemment antifasciste. Celui qui allait devenir le second président de la Ve République s’écarta cependant assez vite de tout engagement politique. Jusqu’au jour où, à la Libération, il devint le collaborateur du général de Gaulle, avant d’être son directeur de cabinet à Matignon en 1958 puis son Premier ministre de 1962 à 1968. Extraordinaire destin, non prémédité, riche de paradoxes.

L’homme des paradoxes

À la postérité, Georges Pompidou offre une image contrastée. Politiquement, il illustre, sans nul doute, la tradition conservatrice. De Gaulle affirma toujours vouloir transcender le clivage gauche-droite. Même s’il assuma largement l’héritage du Général, Pompidou souhaita s’appuyer sur des majorités nettes. Telle fut d’ailleurs la raison pour laquelle il ne put s’entendre avec Jacques Chaban-Delmas, le Premier ministre qu’il nomma en 1969 et qui souhaitait rechercher des soutiens au centre-gauche. Dans Le Nœud gordien, livre qu’il écrivit après la tourmente de mai 1968 et ne fut publié qu’après sa mort, il précise même que la fonction de l’État est, à ses yeux, d’amortir autant que possible le choc suscité par l’évolution inéluctable de la société, générateur selon lui de délitement de l’autorité et des disciplines collectives. Au pouvoir, il campa sur cette ligne, surtout à partir de 1972.

Mais Georges Pompidou ne saurait être enfermé dans cette image d’un conservateur résolu. Si de mauvais esprits ont prétendu que son Anthologie de la poésie française était une anthologie de banquier, ῝un portefeuille de valeurs sûres῝, ses conceptions en matière culturelle et artistique relevaient d’un anti conformisme assumé. Collectionneur d’art contemporain depuis l’après-guerre, il reste celui qui imposa l’art moderne à Matignon puis à l’Élysée, et surtout le promoteur du Centre du Plateau Beaubourg qui porte son nom. Sur un autre plan, la sensibilité avec laquelle il évoqua, au cours d’une conférence de presse, le drame d’une enseignante, Gabrielle Russier, qui se suicida après avoir été condamnée pour avoir entretenu une relation amoureuse avec l’un de ses élèves, reste dans la mémoire collective. On n’oubliera pas enfin que s’il fut élu Président de la République en 1969, ce fut largement parce que l’opinion avait jugé positive son attitude un an plus tôt lors des événements de mai : alors que certains dans la majorité de l’époque voulaient employer la force pour venir à bout de la contestation au Quartier Latin, il adopta une ligne parallèle à celle du préfet de police Maurice Grimaud qui visait à éviter toute effusion de sang. Enfin, s’il ne ressentait pas le besoin d’une évolution des rapports humains à l’intérieur de l’entreprise, il se montra partisan de progrès en matière sociale : on lui doit en particulier la mensualisation.

Le successeur du général de Gaulle

Au-delà de ces paradoxes, voire de ces contradictions, Georges Pompidou demeure l’homme d’État qui aura su pérenniser l’essentiel de l’œuvre du général de Gaulle. Les deux hommes s’étaient éloignés l’un de l’autre. Pompidou, qui avouait devoir tout au Général, s’était opposé à lui en mai 1968. Peu après, la détestable affaire Markovic, montage visant à l’abattre et où trempèrent des hommes proches du pouvoir de l’époque, acheva de les séparer. Pour autant, le second chef d’État de la Ve République ne renia jamais l’admiration qu’il portait à celui qui, selon ses propres termes, l’avait révélé à lui-même. Pompidou ne prétendait pas être de Gaulle, encore moins parler en son nom. Il avait son style propre et sa sensibilité. À l’intérieur comme à l’extérieur, il s’efforça pourtant de maintenir les orientations de son prédécesseur. Après de Gaulle, beaucoup ne donnaient pas cher des institutions de 1958. Georges Pompidou les préserva avec acharnement en accentuant le caractère présidentiel du régime. En politique étrangère, les principaux axes furent maintenus, sous réserve d’inévitables adaptations. La France, de 1969 à 1974, continua d’affirmer son hostilité à la politique des Blocs mais en atténuant la prise de distance antérieure avec les États-Unis. Au Moyen-Orient, la position définie par de Gaulle lors de la guerre des Six Jours en 1967 fut sauvegardée : droit à l’existence d’Israël mais reconnaissance des droits du peuple palestinien. C’est en matière européenne que Georges Pompidou affirma le plus sa marque propre : le Général s’était opposé à l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun, au motif qu’elle serait le cheval de Troie des États-Unis. Pompidou leva l’interdit afin d’équilibrer la relation franco-allemande et surtout d’éviter tout glissement vers le fédéralisme.

Succéder à un géant de l’Histoire tel que de Gaulle était un défi quasi insurmontable. Georges Pompidou, de l’avis général, se montra à la hauteur de sa tâche, même si le mal cruel qui l’emporta prématurément assombrit ses derniers mois de pouvoir. Son nom reste attaché à une époque de prospérité dont il s’employa à tirer le meilleur profit en modernisant le pays, en favorisant son industrialisation.

À lire :

Georges POMPIDOU (préface d’Éric Roussel), Le Nœud gordien, Paris, Perrin, coll. “Tempus”, 2024 (2019)

Éric ROUSSEL, Georges Pompidou, Paris, Perrin, coll. « Tempus », 2004

Christine MANIGAND, Olivier SIBRE (dir.), Le Dictionnaire Pompidou, Paris, Robert Laffont – Institut Georges Pompidou, 2024

Alain POMPIDOU, Éric ROUSSEL, Georges Pompidou. Lettres, notes et portraits (1928-1974), Paris, Robert Laffont, 2012

Crédits images :

Illustration d’accueil : Le quartier Beaubourg, Droits Réservés – Paris Musées / Musée Carnavalet –Histoire de Paris

Illustration du chapô : Discours de candidature à l’élection présidentielle de Georges Pompidou, 29 avril 1969 © Wikimedia Commons

Illustration de l’article : Giovanni Coruzzi, Le président Charles de Gaulle avec son Premier ministre Georges Pompidou, 1er juillet 1966 © Bridgeman Images

 

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