Mort de Maurice Barrès

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Par Eric Roussel, membre de l’Académie des sciences morales et politiques


« Il a commis l’erreur d’élever son buste dans un endroit qui bientôt ne sera plus desservi » : ce mot d’une femme d’esprit résume parfaitement la destinée posthume de Maurice Barrès. De fait, les grandes causes auxquelles il s’est consacré ne semblent plus devoir toucher les contemporains.

Une postérité problématique

L’idée nationale dont il fut le théoricien a peu d’adeptes aujourd’hui. Si le nationalisme sensible et émotif qu’il exalta eut une profonde influence sur le général de Gaulle, les partisans du souverainisme se réclament plutôt de Charles Maurras, esprit beaucoup plus systématique qui, contrairement à lui, rejetait toute la partie de l’Histoire de France postérieure à la Révolution.

À première vue la prolifération, jusqu’à satiété, de récits voire de romans fondés sur une expérience personnelle peut faire croire que le culte du moi dont il s’est fait le chantre à l’aube de sa carrière est de nouveau d’actualité. Illusion car Barrès reste trop lié à une haute idée de la culture et à une quête spirituelle pour être confondu avec des égotistes nombrilistes. Comble de malheur, à l’heure du choix décisif, lors de l’affaire Dreyfus, il s’est trompé. Quand Léon Blum, qui le considérait comme un maître, est venu lui demander de prendre parti pour l’innocence du malheureux capitaine, il s’est montré insensible aux arguments de son visiteur et a tranché : « Qu’il soit coupable, je le conclus de sa race ». Mot terrible qui n’a cessé de le poursuivre, même si dans l’un de ses derniers livres, Les diverses familles spirituelles de la France, il fit amende honorable et rendit pleinement justice aux Juifs français fidèles à l’Union sacrée.

Barrès et ses contemporains : une influence capitale

Et pourtant Maurice Barrès, malgré ses erreurs et ses limites, reste un contemporain capital sans lequel il est difficile de comprendre son époque. Presque tous les grands écrivains qui illustrèrent ce véritable âge d’or des Lettres françaises que fut l’entre-deux guerres ont subi son influence, même s’ils finirent par la rejeter. Mauriac, Drieu La Rochelle, Malraux, Montherlant, entre autres, sont ses héritiers. Et le tribut le plus fervent qui lui fut rendu est signé d’Aragon: « De Barrès à Gide, l’homme ne monte pas, il descend. Quant à l’écrivain il n’est qu’à voir le désossement progressif de la prose française, faute d’autres maîtres que des escamoteurs, pour ressentir l’absence de Barrès que n’a pu combler Giraudoux. S’il fallait choisir, je me dirais barrésien. » Plus étonnant encore, l’un de ses disciples avoués ne fut autre que Léopold Sedar Senghor, premier président de la République du Sénégal, qui a souligné tout ce que le concept de négritude devait à l’auteur de La colline inspirée.

Lire Barrès aujourd’hui

Barrès, en vérité, ne s’est jamais remis d’avoir été le héraut d’un chauvinisme exalté durant la Grande Guerre. Si l’on veut le redécouvrir, il faut se plonger dans ses admirables Cahiers qui le révèlent déchiré, souvent en proie au nihilisme et plein de compréhension pour ses adversaires, à commencer par Jaurès. C’est là assurément que se trouve le meilleur de cet auteur dont Léon Blum a pu dire: « À aucun âge de notre Histoire et Rousseau mis à part, il ne s’est levé d’écrivain plus complètement original ». Malheureusement ces pages, dont certaines soutiennent la comparaison avec les Mémoires d’Outre-Tombe, restent peu accessibles. Une partie de l’œuvre intéresse aujourd’hui surtout les spécialistes, notamment la trilogie du Roman de l’énergie nationale. En revanche des récits de voyages comme Du sang, de la volupté et de la mort ou Amori et dolori sacrum parlent encore à nos imaginations. Greco ou le secret de Tolède justifie aussi ce jugement d’Aragon: « Un jour viendra où on le lira en accordant aussi peu d’importance à ses idées qu’à celles de Saint-Simon quand on va chercher chez ce grand seigneur des leçons de langage ».                                                  

À lire :

Œuvres complètes :

Maurice Barrès (Préface d’Eric Roussel, notes de Vital Rambaud), Romans et Voyages (2 volumes), Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2014 (1994)

Biographies  et ouvrages critiques :

Emmanuel Godo, Maurice Barrès, le grand inconnu, Tallandier, 2023

François Broche, Vie de Maurice Barrès, Paris, Bartillat, 2022

Sarah Vajda, Maurice Barrès, Paris, Flammarion, 2000

Antoine Compagnon (dir.), À l’ombre de Maurice Barrès, Paris, Gallimard, coll. « L’esprit de la cité », 2023

Crédits images 

Illustration d’accueil : Barrès devant Tolède JdeP789 Zuloaga Ignacio (dit), Zuloaga y Zabaleta Ignacio (1870-1945) Localisation : Paris, musée d’Orsay Photo © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Stéphane Maréchalle

Illustration du chapô : Maurice Barrès peinture de  Jacques-Emile Blanche  1890 © Gallica BNF

Illustration de l’article : Photographie, la ligue des patriotes à Champigny en présence de Maurice Barrès 1916 Agence Rol. © Gallica BNF

 

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