Les 72 jours de la Commune de Paris : exercice du pouvoir et héritage politique

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Article de Jean-Louis Robert, professeur émérite de l’Université Paris-I, auteur du Paris de la Commune – 1871 (2015)


 

Pendant la brève période de son gouvernement, la Commune s’efforce d’expérimenter une nouvelle forme de démocratie directe, libère la parole, donne une place aux exclus et aux marginaux.

 

Après l’insurrection du 18 mars 1871, le Comité central de la Garde nationale organise rapidement des élections municipales. Celles-ci se dérouleront le 26 mars et aboutiront à la proclamation de la Commune de Paris le 28 mars.

L’assemblée communale élue, la Commune, dirige Paris. Les 81 élus qui siègent (certains ont démissionné rapidement) sont d’origine sociale diverse et, chose rare, on y compte près de 30 ouvriers. Mais artistes, petits bourgeois et intellectuels y sont nombreux. Ils sont partagés entre plusieurs courants (républicains jacobins, internationalistes, socialistes modérés, socialistes révolutionnaires…). La particularité de ce gouvernement d’assemblée est de laisser une large part à la démocratie implicative. Les élus sont responsables et révocables. Des assemblées populaires se réunissent fréquemment dans les quartiers et multiplient les propositions. Des associations jouent un rôle considérable comme l’Union des femmes pour la défense de Paris, qui veut que les femmes participent à la Commune jusqu’à combattre pour elle. Par ailleurs, les communards, réticents à toute domination, s’opposent à l’idée d’avoir un chef. La Commune n’a ni maire, ni président. Le président de séance change chaque jour. L’organisation de ce système démocratique reste cependant fragile.

Beaucoup d’élus restent influencés par le socialisme de Proudhon qu’ils colorent de rouge, alors que Marx reste inconnu de la quasi-totalité des communards. Ainsi la Commune respectera la Banque de France, les compagnies privées de chemins de fer etc… Mais elle soutient le développement des syndicats ouvriers, encourage des formes d’économie sociale comme les associations ouvrières de production et introduit une participation des travailleurs à la gestion des ateliers et des services publics.

Malgré les circonstances difficiles créées par la guerre civile, la Commune va prendre toute une série de mesures qui vont dans le sens d’une République démocratique et sociale. On doit citer :

  • le décret du 2 avril de séparation de l’Église et de l’État ;
  • le décret du 8 avril sur les pensions donnant les mêmes droits aux compagnes non mariées et aux enfants naturels qu’aux femmes mariées et aux enfants légitimes ;
  • le décret du 16 avril sur la réquisition des ateliers abandonnés donnés en gestion aux associations ouvrières ;
  • les décrets des 20/27 avril interdisant le travail de nuit dans les boulangeries et les amendes et retenues sur salaire ;
  • le décret du 24 avril sur la réquisition des logements vides ;
  • les décrets interdisant le cumul des salaires et fixant un maximum des salaires ;
  • le décret du 6 mai autorisant le retrait gratuit des objets de moins de 20 francs engagés au Mont-de-Piété ;
  • le décret du 19 mai laïcisant les écoles communales ;
  • le décret du 21 mai sur l’égalité des salaires des institutrices et des instituteurs (premier décret d’égalité des salaires des femmes et des hommes).

Après l’écrasement de la Commune, le gouvernement de Thiers annule toutes les dispositions votées ou effectuées par la Commune – même les mariages ! Il dissout la garde nationale. 40000 Parisiens sont arrêtés, 46000 jugés par 26 conseils de guerre. 10000 seront condamnés aux travaux forcés, à la déportation, à l’emprisonnement, au bannissement. Plusieurs milliers de Parisiens échappent à la condamnation par l’exil. L’amnistie générale sera votée en 1880 par la République pour, comme le déclare Gambetta le 21 juin, « mettre la pierre tumulaire de l’oubli sur les crimes et les vestiges de la Commune. » L’amnésie devenait la règle pour la mémoire de la IIIe République.

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