Naissance du graveur Robert Nanteuil

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Par Maxime Préaud, artiste graveur et archiviste paléographe, ancien conservateur général à la BnF au département des estampes


Robert Nanteuil est né à Reims. La date de 1623, pour n’être pas certaine, est celle qui est généralement admise. Il est mort à Paris le 9 décembre 1678.

Le petit monde des grands noms de l’estampe

Il avait été initié à la gravure au burin par son concitoyen Nicolas Regnesson, graveur puis éditeur d’estampes, dont il épousa la sœur au début de 1646. Installé à Paris peu après, le couple aura huit enfants, qui décèderont tous avant leurs parents. Robert se fait rapidement connaître par son talent de portraitiste, et Regnesson, qui l’a précédé à Paris, sait l’introduire dans le petit monde de l’estampe auquel Nanteuil sera toujours attaché, faisant profiter ses confrères et amis de ses relations privilégiées avec la cour. Ainsi jouera-t-il un rôle important dans l’élaboration de l’arrêt de Saint-Jean-de-Luz du 26 mai 1660, par lequel le roi déclare que le métier de la gravure en taille-douce est libre, c’est-à-dire qu’il n’est pas soumis au système corporatiste qui implique maîtrise, redevances et numerus clausus.

La fréquentation d’artistes de premier plan comme Jean Morin, le graveur privilégié de Philippe de Champaigne, qui travaille l’eau-forte à petites touches ; comme Claude Mellan, le virtuose de la première taille ; et comme Abraham Bosse, le meilleur pédagogue en la matière, lui permet d’atteindre les sommets, progressant sans cesse, depuis des débuts en format de poche jusqu’aux magnifiques portraits « forts comme nature » destinés aux affiches de thèses des membres des grandes familles.

Et l’on se prend soi-même à sourire…

 S’il fallait d’un mot définir l’œuvre de Robert Nanteuil, on pourrait dire « le sourire ». En effet, à moins qu’il grave d’après d’autres artistes souvent trop sérieux, quasiment tous les personnages dont il a réalisé les effigies présentent un visage souriant, même les plus laids d’entre eux, tel le prince de Condé, et les plus froids, tel Jean-Baptiste Colbert. Et l’on se prend soi-même à sourire en les considérant, comme si la sympathie naturelle que Nanteuil semble avoir montré dans ses relations humaines rejaillissait sur nous, à quelque quatre siècles de là. Ce sourire, qui n’a rien à voir avec le rictus obligé de nos stars, est aussi la raison de son succès : les modèles se trouvent séduisants dans les portraits que Nanteuil a faits d’eux. Comme le rappelle joliment Madeleine de Scudéry : « Je hais mes yeux dans mon miroir, / Je les aime dans son ouvrage. »

De là à croire que tous les portraits qu’il a réalisés sont parfaitement ressemblants, il y a quelque distance, malgré les mots flatteurs que Louis XIV, à la fois le plus important et le plus fréquent de ses modèles, dicte dans un mandement daté du 15 avril 1658 conférant à l’artiste la charge de « son dessinateur et graveur ordinaire en taille-douce », insistant sur le « secret » de Nanteuil « pour rendre infaillible par le crayon et par le burin la ressemblance des sujets dont l’air est le plus difficile à prendre » et sur « la perfection où il porte ses ouvrages et que tout le monde voit dans les portraits qu’il a faits de nous et des principales personnes de l’État. » Le contraste avec les portraits dus au burin de son contemporain Antoine Masson est saisissant ; chez ce dernier, en effet, les visages sont traités avec une brutalité spectaculaire, à la limite de la caricature ; ce qui ne signifie pas qu’ils ne sont pas ressemblants. La vérité, comme souvent, est probablement entre les deux.

Dessiner, peindre et graver comme on parle

Mais chez Nanteuil, tout respire la bonhomie et la joie de vivre. Lui-même se défend fort bien à table et aussi bien dans la conversation que le couteau à la main, car c’est un artiste qui a fait ses humanités, chose plutôt rare en ce temps. Il est vrai qu’il fréquente une société cultivée, notamment dans les salons des frères Perrault, qu’il taquine volontiers la muse, laquelle ne s’offusque ni de la rondeur physique de l’artiste ni de la relative platitude de ses vers, tant il y met de gaieté et de simplicité. Il dit lui-même qu’il ne peut arriver à rien de bon s’il n’est de bonne humeur, et qu’il faut que ses modèles le soient aussi. Il dit encore que l’on doit dessiner, peindre et graver comme on parle.

Sa manière de buriner se ressent de ce tempérament, elle est tout entière de douceur et d’harmonie. Cela tient d’abord à la qualité de son dessin, qu’il a longuement pratiqué à la pierre noire, avant de se mettre à peindre au pastel, technique qui permet l’usage de l’estompe, facilitant le jeu des transitions entre les ombres et les lumières sur un visage. Sa palette est réduite, sans la moindre extravagance. La transcription dans l’estampe est une merveille d’intelligence.

Voici comme Nanteuil définit son art : « Quoique le graveur paraisse ne faire qu’une profession, il faut cependant qu’il soit, au commencement de son travail, dessinateur ; au milieu, graveur et sculpteur, et à la fin peintre. Dessinateur pour la situation et la forme des parties ; graveur et sculpteur, pour les hachures, leurs contours, les cavités, les convexités et tous les traitements du sujet ; et peintre enfin, pour l’union et la tendresse des ouvrages. »

À lire :

Nicole Garnier-Pelle, Figures du siècle de Louis XIV. Portraits gravés de Robert Nanteuil, Paris, Faton, coll.«Les carnets de Chantilly», 2019

Crédits photos : 

Illustration de la page d’accueil : Le Repos pendant la fuite en Égypte ou la Sainte Famille 1645, 2e état © RMN-Grand Palais Domaine de Chantilly-Image RMN-GP-18-529040 | Musée Condé

Illustration du chapô : Autoportrait (1666) © Collection Uffizi Gallery | Wiki Commons

Illustration de l’article :

Bannière : Jean-Baptiste Colbert (Reims, 1619 – Paris, 1683), contrôleur général des Finances, dans un ovale soutenu par les allégories de la Vigilance et la Fidélité, accompagnées d’enfants vers 1667 © RMN-Grand Palais Domaine de Chantilly-Image RMN-GP18-529338 | Musée Condé

Corps de l’article :

Denis Talon (Paris, 1628-1698), président à mortier du Parlement de Paris vers 1656, Robert Nanteuil © RMN-Grand Palais Domaine de Chantilly-Image RMN-GP18-529313 | Musée Condé

Portrait de Madame de Sévigné, Robert Nanteuil (entre 1665 et 1675) © Paris Musées | Musée Carnavalet – Histoire de Paris

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