Mort de Jacques Maritain

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Petit-fils de Jules Favre et lié aux dynasties fondatrices de la IIIe République, ami de Péguy et disciple de Bergson lors de ses années étudiantes, converti à un catholicisme mystique avec son épouse slave et juive Raïssa en 1906 et filleul de Léon Bloy, s’inscrivant ensuite dans les héritages de Thomas d’Aquin, Maritain devient le chef de file du « renouveau thomiste », qu’il enseigne de 1914 à 1939 à l’Institut catholique de Paris.

Maritain, catholique et anticonformiste

Sa pensée à la fois tranchante et accueillante se déploie de la métaphysique vers l’esthétique (Art et Scolastique, 1920 ; Frontières de la poésie, 1935), l’anthropologie religieuse, la philosophie morale et politique (Trois Réformateurs, 1925 ; Du Régime temporel et de la liberté, 1933). Son domicile de Meudon où il s’installe en 1923 est l’un des principaux centres spirituels de l’entre-deux-guerres, dans un jaillissement continu de conversions et de dialogues, de collections (« Le Roseau d’Or » notamment, en 1925) ou de revues naissant sous son inspiration. Familier des peintres, des musiciens, des poètes, abondant en « grandes amitiés » les plus diverses, entouré d’une jeunesse intellectuelle « non-conformiste », proche de l’Ordre dominicain par son thomisme, enseignant aussi outre-Atlantique à partir de 1933, il est reconnu en 1939 comme le plus influent des penseurs catholiques, trouvant dans chaque pays et jusqu’au Vatican, des relais fervents. Mais c’est aussi le plus controversé, depuis qu’il a combattu l’Action française dont il avait un temps été proche (Primauté du spirituel et Pourquoi Rome a parlé, 1927), les totalitarismes (Humanisme intégral, 1936), le « national-catholicisme » franquiste (De la guerre sainte, 1937), et toutes les modalités de l’antisémitisme (L’Impossible antisémitisme, 1937).

La seconde guerre mondiale et l’exil américain

Au Crépuscule de la civilisation (1939) et dans la « catastrophe du politique », la guerre lui apparaît comme la dernière phase de la liquidation du « monde moderne ». Il s’agit à ses yeux de « racheter le temps » pour sauver ce que la modernité contenait de meilleur, et susciter les forces de conversion et de renouveau nécessaires. Retenu par la défaite en Amérique, où le quai d’Orsay l’avait envoyé en tournée de propagande, tout le préparait à devenir l’une des principales « consciences des Français de l’extérieur » : publié à New York en janvier 1941 et introduit aussitôt en France occupée, À travers le désastre sera le premier « best-seller » de la Littérature clandestine. De 1940 à 1944, son appartement de la 5e Avenue est un point de ralliement de « l’Europe exilée ». Bien introduit à Washington et auprès des Universités américaines, des journalistes antifascistes, de la communauté juive, proche de De Gaulle et de la « France libre » sans enfermer son effort dans ce cadre institutionnel, il préside l’Université en exil (ELHE) inaugurée à New York le 14 février 1942. Conçus comme des « armes idéologiques », ses ouvrages Christianisme et Démocratie, Les Droits de l’Homme et la Loi naturelle, Principes d’une politique humaniste, participent au renouveau de la pensée démocratique et accentuent son audience « interalliée ». Particulièrement attentif à la persécution des Juifs, il dénonce dans ses messages radiodiffusés la complicité de Vichy lors des premières rafles et prend conscience dès décembre 1942 de l’entreprise génocidaire.

Le « Juif errant de la philosophie chrétienne »

À la demande du Général de Gaulle, il transporte ensuite tout son « soft power » au Vatican, auprès duquel il sera de 1945 à 1948 l’ambassadeur de la France libérée, préparant par son influence quelques-unes des évolutions du concile Vatican II. C’est la France officielle aussi qui l’envoie en 1947 à l’assemblée générale de l’Unesco à Mexico pour y définir les voies d’une coexistence pacifique quand se déploie la « Guerre froide ». Mais celui qui se définit désormais comme le « Juif errant de la philosophie chrétienne »  ne trouve pas de chaire en France ensuite : c’est à Princeton où il enseigne jusqu’en 1960, à Chicago, à Toronto, à Notre Dame, qu’il met au point ses grandes synthèses, à l’heure où le catholicisme américain parvient à sa maturité historique : L’Homme et l’État (1951), L’Intuition créatrice dans l’art et la poésie (1953), Sur la philosophie de l’histoire (1957) ou La Philosophie morale (1960). À la mort de Raïssa en 1960, Jacques se retire à Toulouse où l’accueille une congrégation nouvelle inspirée par Charles de Foucauld, les « Petits Frères de Jésus ». La dernière partie de son œuvre sera théologique : Dieu et la permission du mal (1963), De l’Église du Christ (1970), Approches sans entraves (1973).  C’est à lui que Paul VI remet le message du Concile aux hommes de science et de culture lors de la cérémonie de clôture le 8 décembre 1965, et c’est son Paysan de la Garonne  en 1966 qui ouvre au lendemain de Vatican II le grand débat herméneutique. Celui qui « ressemblait à toutes les images du Christ » s’éteint à Toulouse le 28 avril 1973.

À lire :

Michel Fourcade, Feu la modernité ? Maritain et les maritainismes, Nancy, Arbre bleu éditions, 2021

Crédits photos :

Illustration de la page d’accueil : Georges Rouard, Le couvent des Carmes de Vaugirard (Paris 15e), vers 1892-1902 © Paris Musées/Musée Carnavalet

Illustration du chapô : Jacques Maritain © WikiCommons

Illustration de la page article : Effigie de Saint Thomas d’Aquin, gravure de Cornelis Boel in Vitae D. Thomae Aquinatis © Gallica/BnF

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