2/10 – La société

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Emprisonné au fort de Ham, dans la Somme, après sa tentative de coup d’État en 1840, Louis-Napoléon lit beaucoup, se passionne pour les questions économiques et pour le sort du monde ouvrier, auxquels son séjour en Angleterre l’a sensibilisé. Il fait son miel des idées saint-simoniennes sur le développement de l’économie. En 1844, il rassemble ses idées dans un essai qui a connu un réel succès et dont le titre est resté célèbre : De l’extinction du paupérisme.

Il n’est pas socialiste, ne remettant pas en cause le principe de propriété, mais il est convaincu que l’État doit jouer un rôle moteur dans la vie économique et pour le progrès social. « C’est dans le budget qu’il faut trouver le point d’appui de tout le système, qui a pour but le soulagement de la classe ouvrière. »

« La pauvreté ne sera plus séditieuse, lorsque l’opulence ne sera plus oppressive », écrivait Louis-Napoléon dans l’Extinction du paupérisme. Parvenu au pouvoir, il imposera en 1864 à une classe politique réticente – où les industriels sont nombreux et puissants – la reconnaissance du droit de grève (droit de coalition).

Il encouragera financièrement les sociétés d’aides sociales ou les créateurs de logements sociaux. L’un des concours de l’exposition universelle de 1867 portera sur la conception de maisons modernes adaptées à la vie des ouvriers, et l’Empereur lui-même y prendra part en proposant un plan.

Du côté des ouvriers, le Second Empire voit l’envol de la grande industrie, notamment la sidérurgie, marquée par la concentration en grandes usines et en grandes entreprises. Il ne faut pas oublier que la majeure partie du monde ouvrier relève de petites entreprises autofinancées (textile, bâtiment…) Beaucoup d’ouvriers travaillent chez eux, et non dans les manufactures. Les situations sont donc extrêmement contrastées. Certes, la misère a plutôt reculé sous le Second Empire, mais la précarité reste très grande. Malgré les avancées de l’urbanisme et un progrès global de leur condition, les ouvriers seront généralement hostiles au régime impérial en 1870.

Mais la France du Second Empire reste une France rurale : 52 % des Français vivent de l’agriculture en 1866, et 70 % de la population est rurale, malgré l’accélération de l’exode vers les centres urbains et industriels. Pour les ruraux les moins qualifiés et les plus nécessiteux, la ville et l’industrie offrent une perspective d’avenir. Mais il n’y a guère de chômage à la campagne sous le Second Empire et l’on peut même parler d’une certaine prospérité agricole, qui explique pour une part l’attachement du monde rural au régime. Cette relative aisance dissimule cependant la lenteur de la modernisation agricole. Si les techniques progressent peu à peu, elles pâtissent d’un système bancaire encore archaïque dans le monde rural, qui ne fournit pas à l’agriculture les capitaux nécessaires pour s’équiper et augmenter ses rendements. La mécanisation ne commencera vraiment qu’après 1870. En revanche, l’essor des routes, des chemins de fer, des canaux, et dans certaines régions l’augmentation de la surface cultivée favorisent le progrès.

Yves Bruley, maître de conférences HDR à l’École Pratique des Hautes Études, directeur de France Mémoire

Crédits photos :

Illustration de l’article : Bourgeois et ouvriers, par Jean-Pierre Moynet, 1848 © Gallica BnF

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