Richelieu, gouverneur d’Odessa

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Par Meryl Lavenant, agrégée d’histoire, doctorante


En 1803, Armand-Emmanuel du Plessis de Richelieu reçoit de l’empereur russe la responsabilité de gouverner la ville d’Odessa. Pendant plus de dix ans, ce Français au nom illustre vit sur les rives de la mer Noire, parcourt les steppes pour inspecter les colonies qui s’établissent dans la région, s’active à Odessa pour stimuler le commerce et faire de cette ville « l’entrepôt général du commerce d’une grande partie de l’Europe avec l’Asie ». Deux cents ans après la mort du Duc, en haut du mythique escalier de la ville, sa statue trône, protégée par les Odessites en tant que symbole de l’identité et de l’histoire de cette ville cosmopolite.

À l’occasion d’une énième guerre engagée par Catherine II contre les Turcs, Richelieu s’engage aux côtés des troupes russes, et participe à la prise d’Ismail en 1790 : c’est le début de ses années au service de la Russie.

Odessa sous Richelieu : une deuxième naissance

Il fait ensuite la connaissance du futur Alexandre Ier, à Saint-Pétersbourg, dans les salons de l’impératrice. Lorsque celui-ci monte sur le trône, il l’invite à revenir au service de la Russie : il a confiance en Richelieu, qu’il nomme gouverneur d’Odessa par un oukase de 1803. Deux ans plus tard, le duc devient gouverneur général de la Nouvelle Russie, c’est-à-dire d’une région comprenant le sud de l’Ukraine, la Crimée, Taganrog.

La fondation d’Odessa remonte à 1794, lorsque l’amiral de Ribas convainc l’impératrice Catherine d’installer un port sur la place fortifiée de Hadji-Bey. Quand Richelieu arrive dans la ville, dessinée par François de Wollant, il la trouve encore largement en chantier. Il donne alors un nouvel élan à son édification et la ville prend progressivement forme, avec ses rues larges et aérées, son plan symétrique, son style néo-classique élégant. Très sensible à la botanique, il fait planter des acacias qui deviennent un des signes distinctifs de la ville. Pendant les onze années qu’il passe à Odessa, Richelieu donne un second souffle au projet catherinien.

Portrait du duc en administrateur

En effet, le duc est un homme de son époque, influencé par les idées caméralistes : sa pratique de gouvernement repose sur la conviction que c’est par la bonne administration et l’exploitation optimale des ressources qu’il est possible d’assurer le développement pérenne de l’économie et ainsi le bien commun. Son mode de gouvernement se caractérise donc par un fort volontarisme, qui s’exprime dans plusieurs domaines.

En 1803, Odessa ne compte que quelques neuf mille habitants. Le duc cherche à peupler la région qui est un espace de frontière, intégré depuis peu à l’Empire. À Odessa, il fait venir des négociants, pour dynamiser le commerce ; dans les steppes fertiles de Nouvelle Russie, il accompagne l’installation de colons, Allemands et Bulgares. Tout cela contribue à faire d’Odessa une ville à part à l’échelle de l’Empire russe, une cité cosmopolite où vivent Ukrainiens, Russes, Juifs, Grecs, Bulgares, Arméniens, Allemands, Italiens… et Français. Le duc se fait le porte-parole de sa ville, et invite de nombreux compatriotes à s’installer ou à visiter Odessa. Il encourager également le développement du port : il s’intéresse aux établissements de commerce et aux infrastructures portuaires, accompagne la création d’une banque et de compagnies d’assurance. Malgré quelques fluctuations liées au contexte international de ce début de XIXe siècle, Odessa devient rapidement le plus important marché de blé en Russie.

Enfin, sous Richelieu, Odessa devient le centre de la vie intellectuelle et culturelle de la Russie méridionale : son théâtre, dessiné par un architecte italien, est inauguré en 1809. Le duc est par ailleurs très intéressé par les questions d’éducation, conscient que la pérennité de la ville repose sur la formation de sa jeunesse : il fonde une école, puis plusieurs gymnasiums ; il rédige un projet d’établissement qui donne naissance en 1817 au lycée Richelieu, ancêtre de l’université d’Odessa. Par un don, il constitue le fonds initial de sa bibliothèque.

Richelieu et Odessa : aux origines d’un mythe

Le 26 septembre 1814, le duc rentre à regret en France. Pendant les années qui suivent, il continue d’écrire à Samouil Kontenius, chef du Bureau de la colonisation de la Nouvelle Russie, avec qui il avait travaillé à peupler les steppes du sud de l’Empire. Il envoie des semences, des greffes d’arbres fruitiers, pour faire fleurir les terres où il espérait passer ses vieux jours. En janvier 1822, il lui annonce sa venue prochaine : « Rien ne pourra me faire plus de plaisir que de revenir voir ces contrées auxquelles je prends un si vif intérêt. » Malheureusement, le duc s’éteint le 22 mai 1822, sans avoir pu revoir Odessa.

Ses proches, par leurs écrits, contribuent à faire naître la légende du « miracle » du développement d’Odessa, attachant pour la postérité le nom du duc à la fondation de la ville. L’explosion démographique viendra plus tard, tout comme la place centrale d’Odessa pour l’exportation du blé à l’échelle mondiale : mais Richelieu a indéniablement planté une graine, et été un bâtisseur.

 

À lire :

HERLIHY Patricia, Odessa: a history, 1794-1914, Cambridge, Mass., États-Unis d’Amérique, Distributed by Harvard University Press for the Harvard Ukrainian Research Institute, 1986, 411 p.

POLEVCHTCHIKOVA Elena et TRIAIRE Dominique (éd.), Lettres d’Odessa du duc de Richelieu, 1803-1814, Ferney-Voltaire, Centre international du XVIIIe siècle, « Archives de l’Est », 2014, 296 p.

REY Marie-Pierre, Alexandre Ier, Le Tsar qui vainquit Napoléon, 3e éd., Paris, Flammarion, « Grandes biographies », 2020, 592 p.

WARESQUIEL Emmanuel de, Le Duc de Richelieu : 1766-1822, un sentimental en politique, Paris, Perrin, 1990, 489 p.

 

Crédits photos : 

Illustration de l’article : Monument au duc de Richelieu à Odessa ©Flickr/Oleg Naumenko

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