Ferments d’un renouveau

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Article de Françoise Argod-Dutard, professeur honoraire des universités (langue et littérature du XVIe siècle)


Au début du XVIe siècle, le français, qui est loin d’avoir acquis une position dominante, a plusieurs défis à relever : confronté à des problèmes d’expansion géographique et sociale, il doit devenir une langue officielle ; face à la domination du latin dans les domaines culturels et, pour répondre au besoin grandissant de la vulgarisation scientifique, il doit aussi devenir une langue savante et technique.

Une langue officielle, mais encore minoritaire

Parler de l’Ile de France et des rois, le français partage ses domaines d’extension avec des langues non romanes, comme le breton, le basque et le flamand et des parlers romans d’oïl ou d’oc. Il n’est parlé que par une faible partie de la population qui emploie, selon les circonstances, les patois ou la langue du roi. Certains privilégiés connaissent l’anglais, l’allemand, l’espagnol ou l’italien qui jouit d’un prestige grandissant. C’est une décision politique, l’édit de Villers-Cotterêt, signé par François 1er en 1539, qui lui donne son statut officiel. Le domaine royal s’agrandit et s’ouvre à l’extérieur, l’administration se développe : les agents royaux se répandent sur le territoire et diffusent le français. Les coutumes sont recueillies dans la langue du roi ; des récompenses sont accordées aux publications en français. À cela, s’ajoutent des conditions sociales et culturelles favorables : la société se transforme ; l’imprimerie, en diffusant les œuvres antiques, suscite, auprès d’un plus grand nombre de français peu lettrés, un désir de culture ; les réformés, dans un souci de vulgarisation, veulent traduire les textes religieux.

Prestige du latin et désir de renouveau : le modèle italien

Mais, dans le monde de la culture, même si le français a su imposer une brillante littérature, c’est le latin qui jouit du plus grand prestige : c’est la langue des écrivains antiques, la langue des échanges diplomatiques en Europe et la langue de l’Église qui permet l’union de la Chrétienté. Mais, c’est surtout le véhicule des connaissances scientifiques qui passe aussi par la traduction pour ceux qui ne possèdent pas une maîtrise linguistique suffisante.

Le combat devait donc inévitablement éclater entre les jeunes modernistes et les vieux conservateurs.  Il commença vers 1547  dans le domaine de la langue et de la culture, car on ne jurait plus que par Platon et ses Idées, Épicure et ses atomes, Cicéron et sa rhétorique… L’Italie, qui baignait depuis longtemps dans cette culture renouvelée, faisait pénétrer en France, à la suite des incursions militaires, cet esprit neuf qu’on appellera Renaissance (le mot rinascità a été inventé en 1555, mais le fait existait en Italie depuis le trecento). Les auteurs italiens, les « modernes » étaient devenus des « classiques », comme Pétrarque et ses imitateurs.

La Pléiade : un groupe de jeunes poètes modernistes

Un groupe littéraire se forma autour de l’aîné d’entre eux, Jacques Peletier, né au Mans, en 1517, devenu secrétaire de l’évêque de la ville, René Du Bellay, frère de Joachim. En 1543, Peletier et Ronsard se lient d’amitié, à l’occasion des obsèques au Mans du capitaine Guillaume Du Bellay, oncle de Joachim. René Du Bellay obtient, pour son protégé Jacques Peletier, le poste de principal du Collège de Bayeux à Paris. En 1545, Peletier publie une traduction de l’Art poétique d’Horace, et en 1547, des Œuvres poétiques, où sont insérés deux textes de Ronsard et de Joachim Du Bellay.

Dès lors, une union s’opère autour des trois collèges parisiens de Bayeux, avec Peletier, de Coqueret, avec Jean Daurat, et de Boncourt, avec Marc-Antoine de Muret, ami de Ronsard. Le groupe intègre Jean-Antoine de Baïf et Rémy Belleau. D’autres suivront bientôt. C’est ainsi que se constitue le noyau générateur de la « Brigade », mot inventé par Ronsard, et qui deviendra en 1556 la « Pléiade », nom d’une constellation qui comporte en principe sept étoiles.

Ce groupe avait des idées communes, celles qui, en provenance d’Italie, prônaient une promotion des langues et littératures nationales, sous l’égide des auteurs anciens et sur le modèle de la Renaissance italienne. Il avait une ambition commune : celle de les faire connaître, et de se faire connaître. L’occasion lui en sera donnée par la publication de l’Art poétique français, en 1548, par Thomas Sébillet, qui anticipait sur les visées de la Pléiade : il avait le même horizon d’attente, mais son répertoire de citations donnait une large part aux poètes établis, dans le sillage de Marot ou de Mellin de Saint-Gelais, et à la tradition médiévale issue du Roman de la Rose et des genres allégoriques.

Cet ouvrage va donner l’impulsion à l’élaboration de la Deffence et illustration de la langue françoise, rédigée par Du Bellay, porte-parole du groupe.

 

À lire

B.Benassar, J. Jacquart, Le XVIe siècle, Paris, A. Colin, 2013. 

Histoire et Littérature au siècle de Montaigne (collectif), Genève, Droz, 2003.

F Argod-Dutard, « La Renaissance de la langue française au XVIe siècle, in La France et les lettres, Paris, Classiques Garnier, 2012 ; L’écriture de Joachim Du Bellay, Genève, Droz, 2002.

 

Crédits photos :

Illustration de l’article : Jean Clouet, Portrait de François Ier, roi de France (1494-1547), 2ᵉ quart du XVIᵉ siècle (1525 – 1550), huile sur bois (chêne), 96 x 74 cm, Musée du Louvre, Département des Peintures ©WikiCommons

 

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