TGV 001 : le train qui « ne ressemble pas à un train »

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Article de Frédéric Debussche, conservateur du patrimoine, directeur du Musée de la ville de Saint-Quentin-en-Yvelines


Au cours des années 1960, la SNCF ambitionne de mettre en place un programme expérimental de Turbotrain à Grande Vitesse : le TGV 001. Le dessin en est confié au designer industriel Jacques Cooper. Ses principales caractéristiques esthétiques résident dans son nez allongé, inspiré du monde de l’automobile, et sa couleur orange, emblématique d’une époque. Dix ans avant l’inauguration du célèbre TGV Sud-est, et le préfigurant à bien des égards, ce prototype réalisé dans l’usine Alsthom de Belfort roule pour la première fois le 20 mars 1972.

Créée en 1938, la SNCF pense très rapidement que l’avenir de chemin de fer doit s’accompagner de l’augmentation de la vitesse des trains. Deux leviers sont à actionner : créer de nouvelles lignes, adaptées à la vitesse, et améliorer la performance des machines. En décembre 1966, la société lance le projet « C03 ». Il s’agit d’un programme de turbotrains, fondés par définition sur la traction thermique, pouvant atteindre une vitesse commerciale comprise entre 250 et 300 km/h. Le projet initial comportait trois prototypes différents : une rame A entièrement articulée, une rame B semi-articulée et pendulaire et enfin une rame C, de conception traditionnelle, avec des remorques tractées par une locomotive. Faute de moyens, seul le projet de la rame A voit le jour, réalisé par les entreprises Alsthom, Brissonneau, MTE et Turbomeca.  

Jacques Cooper, designer du TGV001

La conception du TGV met en concurrence deux jeunes créateurs, au détriment de Paul Arzens, pourtant premier et exclusif designer de la SNCF pendant plus de 20 ans. Dès 1967, Roger Tallon, qui œuvre pour l’agence Technès (bureau d’études techniques et d’esthétique) imagine à la demande d’Alsthom la maquette d’un premier TGV, baptisé « 345 » (chiffre de la vitesse à atteindre selon le designer) mais ce projet très novateur ne retient pas l’attention de la SNCF.

Formé à l’école Boulle, Jacques Cooper débute sa carrière au sein de l’agence du designer franco-américain Raymond Loewy, puis, travaille pour des grandes sociétés d’électroménager (Frigidaire, Arthur Martin), ainsi que pour Renault. Sa passion pour les véhicules motorisés le conduit au début des années 1960 à intégrer Brissonneau-et-Lotz, entreprise spécialisée dans la construction de matériel automobile et ferroviaire. Bien que travaillant au sein du département automobile, Jacques Cooper est remarqué et sollicité à son tour pour dessiner un train qui « ne ressemble pas à un train », selon la formule attribuée à Jacques Bedel, le patron d’Alsthom, lors de sa rencontre avec le designer. À la différence de Roger Tallon qui travaille en agence indépendante, Jacques Cooper est employé par une entreprise directement prestataire du projet, le contraignant sans doute à une approche beaucoup plus encadrée par le commanditaire. Ses premières esquisses datent de 1968.

Un aérodynamisme inspiré de la Porsche Murène

Long de 92.9 mètres, le train se compose de deux motrices encadrant trois voitures, l’une au centre affectée en espace de travail et d’analyse des données, les deux autres respectivement aménagées en première et seconde classe. La rame est de type articulé ; elle repose sur six bogies, dont les quatre médianes sont à cheval sous deux remorques. Elle présente ainsi la particularité d’avoir une position basse sur les rails, renforçant son caractère aérodynamique. Le train est alimenté par quatre turbines à gaz qui fournissent l’énergie à chaque bogie entrainé par les moteurs électriques.

L’esthétique extérieure de la rame rompt avec le design des locomotives antérieures, caractérisées par une face avant généralement verticale. Profondément inspiré par l’univers de l’automobile, Jacques Cooper, qui dessine à la même époque la Porsche 914-6 Murène, étire l’avant du train à la manière d’un capot de voiture, et intègre latéralement les phares et au centre une fausse calandre qui dissimule la trappe de l’attelage de secours.

L’orange, couleur iconique !

Longtemps cantonné à une gamme chromatique sobre et restreinte (noir, vert ou bleu foncé), le matériel ferroviaire s’ouvre après-guerre à des couleurs plus vives et diversifiées à la faveur de nouveaux matériaux et d’un contexte culturel intégrant davantage la couleur. Homme de son temps, marqué par un goût incomparable pour l’orange, que de précédents turbotrains ou autorails avaient déjà adopté, Jacques Cooper en propose une version foncée. Ce coloris a contribué à faire du TGV 001, puis du TGV sud-est (dans une nuance différente) un des marqueurs forts et emblématiques du chemin de fer français de l’ère moderne. L’aménagement intérieur suit la même logique d’innovation et d’inspiration issue de l’automobile. La voiture de première classe est aménagée sans compartiments et avec des rangées de trois sièges indépendants revêtus de tissu orange. En seconde classe, la rangée s’organise en deux fois deux sièges au revêtement en tissu bleu foncé.

Le TGV 001 est présenté à la presse le 23 mars 1972 dans les usines de Belfort. S’en suivent des campagnes d’essai, culminant en matière de vitesse à 318 km/h le 8 décembre 1972, record absolu pour une rame à traction thermique. La crise pétrolière va conduire à l’abandon de ce type de propulsion au profit de l’électricité, lançant le programme du futur TGV Sud-est. Les motrices conservées ont été inscrites au titre des Monuments historiques par arrêté du 19 mars 1996. 

 

Voyageurs à bord d’une voiture première classe d’un TGV001 © SNCF médiathèque – Droits réservés

À lire :

« TGV001 », DocRail. [en ligne], consulté le 17 mars 2022. URL : https://docrail.fr/tgv-001/

« Le TGV001 », Trains d’Europe [en ligne], consulté le 17 mars 2022. URL : http://www.trains-europe.fr/sncf/turbo/tgv001.htm

Loïc Fieux, Cooper, l’homme qui dessina le TGV, La vie du Rail, 2006

 

Crédits photos :

Illustration de l’article : TGV001 à quai en gare de Vesoul © SNCF Médiathèque -Droits réservés

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