Naissance du naturaliste Étienne Geoffroy Saint-Hilaire

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Par Hervé Le Guyader, Biologiste, professeur émérite de Sorbonne université, ancien directeur du laboratoire Systématique, Adaptation, Évolution


Étienne Geoffroy Saint-Hilaire naît le 15 avril 1772 à Étampes, où son père est juge. Il est destiné à la prêtrise, mais, en 1790, il se délie de l’Église et entame des études médicales. Au Collège du Cardinal Lemoine, il découvre la cristallographie nouvellement fondée par son professeur de latin, René-Just Haüy, dont il sauve la vie, de manière rocambolesque, lors des massacres de septembre de 1792.

Un jeune naturaliste audacieux

Cet acte va déterminer sa carrière car, l’année suivante, sous la recommandation de Daubenton, professeur au Collège de France et ami intime d’Haüy, Bernardin de Saint-Pierre, intendant général du Jardin des Plantes, nomme Geoffroy sous-démonstrateur au Cabinet d’histoire naturelle. Un mois plus tard, Lakanal réorganise le Jardin des Plantes en un Muséum d’Histoire naturelle, doté de douze chaires. La zoologie se trouve partagée entre Lamarck (invertébrés), Lacépède (serpents et poissons) et Geoffroy (mammifères et oiseaux). Voici comment un cristallographe de 21 ans devient professeur de zoologie. Mais ce brillant esprit entreprenant comblera ses lacunes par un travail acharné. De plus, il s’adjoint une aide qualifiée, en suivant Tessier, agronome de l’Académie des sciences proche du botaniste Jussieu, qui lui recommande Cuvier, alors réfugié en Normandie. Ils travaillent ensemble, mais leurs tempéraments les séparent. Cuvier s’intéresse au « monde des faits », Geoffroy au « monde des idées ». Dès 1796, Geoffroy avance le principe de l’unité de composition organique : « Il semble que la nature […] n’a formé tous les êtres vivants que sur un plan unique […], mais qu’elle a varié de mille manières… » Ce sera son leitmotiv tout au long de sa vie.

La grande aventure de la campagne d’Égypte

Puis survient la plus grande aventure de sa vie. En 1798, le chimiste Berthollet rassemble dans le plus grand secret l’équipe des savants qui vont accompagner Bonaparte en Égypte. Trois ans passés, l’intrépide Geoffroy revient zoologiste accompli. Il décrit les poissons de la mer Rouge, devient spécialiste des crocodiles… et des momies animales. Il élabore des principes opérationnels qui lui permettent de fonder l’anatomie comparée. Ainsi le principe des connexions énonce que des organes de même origine embryologique peuvent, suivant les organismes, varier de forme et de fonction, le seul invariant restant la position relative, la dépendance mutuelle, la connexion des organes entre eux. Par exemple, les humérus d’un dauphin, d’une chauve-souris et d’un cheval n’ont pas la même forme, mais présentent la même situation, les mêmes connexions avec l’omoplate d’un côté, le couple radius/cubitus de l’autre.

En 1807, Geoffroy est reçu à l’Académie des sciences et étend l’unité de composition à l’ensemble des vertébrés, avec ses mémoires sur les poissons. En 1810, il obtient la chaire de zoologie à la faculté des sciences de Paris. Il se tourne alors vers l’embryologie et la tératologie qu’il révolutionne en y appliquant les lois de l’anatomie comparée. Influencé par Lamarck, il développe une pensée évolutionniste.

Geoffroy, Cuvier et les crocodiles de Caen

 En 1820, il revient à la zoologie et unit vertébrés et insectes, au grand dam de Cuvier. Les dissensions entre les deux savants vont empirer quand, en 1825, Geoffroy contredit Cuvier sur son interprétation de crocodiles fossiles trouvés près de Caen. Il est encore question de transformisme, violemment réfuté par Cuvier. La controverse devient publique quand, en 1830, deux zoologistes proposent à l’Académie des sciences un mémoire sur la seiche, un céphalopode. Geoffroy en est rapporteur et il l’utilise pour rapprocher vertébrés et mollusques. Trois des quatre embranchements de la classification de Cuvier se trouvent ainsi unifiés !

Les échanges se passent tous les lundis à l’Académie, de février à juin. Les grands journaux de l’époque (Le Temps et Le Globe) les relatent, Goethe en fera une recension pour l’Allemagne. Il est vrai que les protagonistes sont des personnalités. Tous deux sont mis en situation par Balzac. Geoffroy, ami d’Edgar Quinet, entretient une correspondance avec Georges Sand et avec de jeunes saint-simoniens. Ils osent un parallèle entre les progrès du monde animal et de l’humanité : « L’idée-progrès est le verbe, est la raison de l’Univers. » Les trois Glorieuses mettront fin à la controverse, puis Cuvier décède deux ans plus tard, lors de l’épidémie de choléra à Paris.

Longtemps, Geoffroy sera ridiculisé pour ses outrances. Pourtant, deux siècles plus tard, la biologie du développement donne raison à ce naturaliste visionnaire. Les plans d’organisation de l’ensemble des animaux sont structurés par les mêmes gènes – ainsi que les yeux, le cœur, les muscles, les reins. Comme le dira Gould : « L’art de trouver des vérités intemporelles dans d’apparentes bagatelles relève d’une forme de perception que nous appelons génie. »

À lire

Gould Stephen J., Geoffroy and the homeobox, The American Naturalist, 11, 1985, p. 12-23.

Le Guyader Hervé, Geoffroy Saint-Hilaire, un naturaliste visionnaire, Belin, 1998 (réédition 2017).

Taquet Philippe, Georges Cuvier, naissance d’un génie, Odile Jacob, 2006.

 

Crédits photos :

Illustration de la page d’accueil : Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, Histoire naturelle des poissons du Nil (1809) © Gallica

Illustration du chapô : Gravure de Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, par Ambroise Tardieu. © WikiCommons

Illustration de la notice générale : Le Général Bonaparte au Caire, Peinture de Jean-Léon Gérôme (1863) © WikiArt

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