Suger devient abbé de Saint-Denis

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Par Michel Bur, historien et archéologue, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres


C’est Richelieu qui le premier, en plaçant Suger au nombre des vingt-cinq plus fidèles auxiliaires de la monarchie française dans la galerie des hommes illustres de son palais, lui reconnut la stature d’un homme d’État.

Suger, abbé de Saint-Denis, conseiller de deux rois

Né en 1080 ou 1081, donné par son père à l’abbaye de Saint-Denis comme oblat à l’âge de dix ans, le jeune Suger fit ses études à l’école de l’Estrée avant de faire profession de vie monastique en 1100. Il fut employé ensuite au classement des archives et accomplit diverses missions dont la plus importante en 1107 l’amena à défendre devant le pape à La Charité-sur-Loire l’exemption de l’abbaye vis-à-vis de l’évêque de Paris. Vers cette date il fut nommé prévôt de Berneval-en-Caux puis, deux ans plus tard, prévôt du grand domaine beauceron de Toury. À ce titre, en 1111/1112 il apporta son aide à Louis VI dans les opérations que celui-ci mena avec succès contre le château du Puiset. En 1122, alors qu’il revenait d’une mission à Rome, il fut élu abbé de Saint-Denis, ordonné prêtre et consacré dans sa nouvelle fonction le 12 mars à l’âge de 40/41 ans.

Le renouveau de l’abbaye de Saint-Denis

L’abbé Adam lui laissait un établissement endetté, mal administré, opprimé par ses avoués et percevant des cens fixes dans une monnaie qui s’avilissait. Dès 1125, Suger obtint du roi l’entière juridiction sur les deux foires du Lendit et entreprit une tournée jusqu’à Mayence pour récupérer les biens que son lointain prédécesseur Fulrad avait donnés à Saint-Denis. Il réussit aussi à récupérer la petite abbaye d’Argenteuil dont Héloïse, épouse d’Abélard, était devenue abbesse. Mais surtout en 1127 il procéda à la réforme de l’abbaye de Saint-Denis, rétablissant le jeûne et la clôture, ce qui lui valut les félicitations de Bernard de Clairvaux.

Son titre d’abbé de Saint-Denis valait à Suger de siéger dans le conseil du roi. Il sut en toutes circonstances s’attirer l’estime du souverain qui n’hésita pas à l’envoyer avec une suite brillante à Bordeaux pour le mariage de son héritier avec Aliénor d’Aquitaine. Louis VI, qui à la fin de sa vie se disait son ami, mourut cette même année 1137 et Suger se trouva tout naturellement dans la position de principal conseiller du nouveau roi. Leurs relations s’aigrirent rapidement et, après la révolte de Poitiers, Louis VII cessa de le consulter.

L’église de Saint-Denis, premier chef-d’œuvre de l’art gothique

Commence à présent une période heureuse où Suger peut entreprendre la reconstruction de l’église abbatiale dans le style « moderne ». Le narthex avait été complétement remanié entre 1137 et 1140. Il décide de reprendre le chevet qui sera consacré en juin 1144. Dans l’hiver 1144 /1145, il commence à dicter son De Administratione, en partie pour justifier ses dépenses par l’augmentation des revenus qu’il avait été capable d’obtenir. Il enchaîne avec le De Consecratione qui décrit le nouveau sanctuaire éclairé par de magnifiques vitraux. Enfin il se met à la rédaction de la Geste de Louis VI qui le retiendra jusqu’en 1147.

C’est alors que Louis VII, décidé à faire un pèlerinage pénitentiel à Jérusalem, lui abandonne le gouvernement du royaume qu’il accepte au titre de vicaire apostolique et non de régent. Il a soixante-six ans. La tâche est ardue, mais il réussit à défendre les intérêts de la « couronne », notion nouvelle qui vient naturellement sous sa plume puisque, par la force des choses, le roi absent ne se confond plus avec le royaume. Au retour de Louis VII, Suger garde la haute main sur les affaires ecclésiastiques et songe même à se rendre lui-même en terre Sainte, mais en septembre 1150 il tombe malade et meurt le 13 janvier 1151 à l’âge de soixante-dix ans. Il aura été abbé de Saint-Denis vingt-neuf ans et aura gouverné la France, tout en finançant la croisade du roi, pendant deux ans et demi.

 

À lire :

Michel Bur, Suger, abbé de Saint-Denis, régent de France, Perrin, Paris, 1991

Françoise Gasparri, Suger de Saint-Denis. Abbé, soldat, homme d’État au xiie siècle, Paris, Picard, 2015 

Michel Bur, “Suger et sa contribution à l’économie pratique, à la philosophie de l’art et à la pensée politique de son temps” ; “Suger et l’art de son temps” ; “Suger et la guerre au XIIe siècle”, in Michel, BUR, La Champagne médiévale dans son environnement politique, social et religieux (Xe-XIIIe siècles). Recueil d’articles, Paris, AIBL, 2020, 444 p.

 

Crédits photos :

Illustration de la page d’accueil :  Suger est fait abbé de Saint-Denis, tableau de Juste d’Egmont, musée d’Arts de Nantes, xviie siècle. © WikiCommons 

Illustration du chapô : Vitrail de la Basilique Saint-Denis © WikiCommons 

Illustration de la notice générale : La ville et mémorable abaie de Sainct Denis gravure de Claude Chastillon. Topographie francoise ou representations de plusieurs villes, bourgs, chasteaux, plans, forteresses, vestiges d’antiquité, maisons modernes et autres du royaume de France, Boisseau, Paris, 1655, collections Jacques Doucet, Institut National d’Histoire de l’Art, p. 211 © WikiCommons 

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