Élection de Marie Curie à l’Académie de médecine

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Par Natalie PIGEARD-MICAULT, docteure en épistémologie et histoire des sciences, directrice adjointe du Musée Curie (CNRS/Institut Curie)


Madame, […] L’Académie a conscience de s’être honorée en vous appelant dans son sein. Béhal, 7 fev. 1922

Le 7 février 1922, madame Pierre Curie, comme elle est alors nommée, devient la première femme membre de l’Académie de médecine. Marie Curie : une pionnière, qui comme l’espéraient les partisans de son élection, serait suivie de bien d’autres.

La première femme : un titre que Marie Curie va cumuler en France, mais aussi à l’étranger

Maria Sklodowska, née à Varsovie en 1867, vient en France en 1891 pour étudier les sciences. Comme beaucoup de jeunes filles de l’Est, contrairement aux Françaises, elle a bénéficié d’un enseignement secondaire public de si grande qualité, que l’équivalence du baccalauréat, sésame des portes universitaires, lui est automatiquement délivré. Avec le physicien Pierre Curie, qu’elle épouse en 1895, ils ont une première fille Irène en septembre 1897. Trois mois plus tard, Marie Curie décide de se lancer dans une recherche doctorale pour laquelle elle choisit comme sujet les rayons uraniques. Devant des difficultés expérimentales, Pierre Curie la rejoint dans cette étude qualitative et quantitative de l’émission de ces rayonnements, que Marie Curie choisit d’appeler « radioactive ». Pour avoir montré que ces rayonnements étaient issus du cœur de la matière, et pour avoir prouvé le caractère instable d’un atome tout juste sorti des sphères de l’hypothèse, les Curie reçoivent en partage avec Henri Becquerel, découvreur des rayons uraniques, le prix Nobel de physique en 1903. Ils venaient tout juste de recevoir la célèbre Médaille Davy de la Royal Society. Avec ces deux prix, Marie Curie est deux fois pionnière, deux fois la première femme à avoir…

Ce n’est qu’un début. Le décès précoce de Pierre Curie lui permet tristement de devenir la première femme dirigeant un laboratoire de recherche universitaire en 1906, la première femme professeur en chaire de l’université française en 1908, la première femme (et la seule encore aujourd’hui) à recevoir un second prix Nobel en 1911 pour la découverte du polonium et du radium et pour ses travaux sur le radium. La première femme : un titre qu’elle va cumuler en France mais aussi à l’étranger en devenant membre de nombreuses académies étrangères. 

Marie Curie n’a jamais été membre de l’Académie des sciences

Pourtant, Marie Curie n’a jamais été membre de l’Académie des sciences. Elle a bien candidaté quand Désiré Gernez décède en octobre 1910. Gernez avait succédé à Pierre Curie à l’Académie des sciences. Marie Curie candidate sur ce fauteuil, celui de son mari. Pour affirmer sa liberté de choix et son indépendance face à l’Institut de France qui refuse la candidature féminine, l’Académie des sciences avait présenté Marie Curie en première ligne, c’est-à-dire en premier choix. Mais voilà, Édouard Branly, plus vieux, aussi méritant et déjà plusieurs fois candidat, avait remporté de deux voix le fauteuil de Pierre Curie. Malgré la promesse publiée de certains de voter une prochaine fois pour Marie Curie, il n’y a pas eu de prochaine fois : le fauteuil de Pierre Curie n’était plus libre.

D’ailleurs, Marie Curie ne s’est jamais présentée à une autre élection académique. Pourtant, sans même avoir candidaté, la voici, ce 7 février 1922, première académicienne de médecine alors qu’elle n’est même pas médecin. Cependant le statut d’associée libre est le seul possible pour les non-médecin. Elle marche ainsi dans les pas des plus grands : Berthollet, Chaptal, Cuvier, Pasteur, et autres savants que l’Académie a admis pour sa propre gloire.

« L’Académie [de médecine] se couvrirait de honte si madame Curie n’était pas élue à une grande majorité »

L’élection de Marie Curie était pourtant loin d’être gagnée. En novembre 1921, c’est Antoine Béclère qui manœuvre pour faire admettre celle qu’il admire. Il fait signer une pétition de 35 académiciens en faveur de l’acceptation de la non-candidate. Mais en 1921, s’il est un médecin opposé à l’existence même de la femme médecin c’est bien le président de l’Académie de médecine Gustave Richelot.

Pour être médecin il faut avoir une intelligence ouverte et prompte, une instruction solide et variée, un caractère sérieux et ferme, […] Ne sont-elles pas précisément le contraire de la nature féminine ?” (Richelot, G. La femme-médecin, Paris E. Dentu, 1875, p.18 et suiv.)

En janvier 1922, Auguste Béhal, admirateur de Curie, remplace Gustave Richelot à la présidence de l’Académie. Béclère relance l’idée de présenter la candidature de Marie Curie à la prochaine élection de membre associé libre. Émile Roux est dubitatif : si Marie Curie doit être présentée à l’élection, sans même être candidate, il faut être certain qu’elle sera élue avec une large majorité. En comité secret du 24 janvier 1922, Béclère, Roux, Richet, Quenu et autres parviennent à ce que la candidature de Marie Curie soit soumise au vote et, que les votants en faveur de sa candidature s’engagent à voter ensuite pour son élection. Sur les 71 votants du comité secret, 44 se prononcent en faveur de la candidature féminine. Un débat s’engage : quel sera le résultat de vote en séance plénière avec 110 académiciens ? N’est-ce pas exposer Marie Curie à une défaite dans une bataille qu’elle ignore encore ? « Monsieur Roux fait enfin remarquer que l’Académie se couvrirait de honte si madame Curie n’était pas élue à une grande majorité ». (Archives de l’académie nationale de médecine, Registre des comités secrets du 24 janv. 1922)

Un espoir pour les partisans de Marie Curie, les autres candidats se désisteront certainement devant elle. Le 31 janvier, en comité secret, Béclère présente au nom des 35 signataires la candidature de Marie Curie. Il expose alors les raisons de cette candidature et présente les titres de la non-candidate en s’attachant à relier ses travaux scientifiques à leurs applications médicales mais également en appuyant sur son rôle joué durant la guerre dans le développement de la radiologie médicale ou encore sur les enseignements qu’elle donne parfois à la Faculté de médecine.

La campagne menée par les soutiens de Marie Curie est basée sur la honte qui s’abattrait sur la noble institution, si la savante n’était pas largement élue. C’est efficace. Tous les opposants décident de se taire. Une trentaine ne se rendent pas à la séance du 7 février 1922 durant laquelle l’élection doit avoir lieu. Seuls 80 sont présents pour voter. 61 votent en faveur de l’unique candidate, les autres votent blanc ou nul. Marie Curie est élue, comme l’espérait Émile Roux, avec une large majorité.

C’est la première fois qu’une femme entre à l’Académie de Médecine. […] Innovation aujourd’hui, et demain tradition ! (Achille Souques, 12 déc. 1922)

Aujourd’hui, sur les 185 membres titulaires présentés sur le site de l’Académie, douze sont des femmes (source : site de l’Académie de médecine)

À lire :

Pigeard-Micault, N., « Marie Curie, la reconnaissance institutionnelle, des Nobel aux Académies », Bulletin de l’Académie nationale de Médecine, nov. 2017

Augustin, M. ; Langevin, H. ; Pigeard-Micault, N., Marie Curie : une femme dans son siècle, Paris, Gründ, coll. « Gründ Histoire », 2017

Pigeard-Micault, N., « Les biographies sur Marie Skłodowska-Curie comme outil de construction des stéréotypes et des idéologies. »  dans Femmes et le savoir, Paris, Classiques Garnier, 2020, pp241-258

Pigeard-Micault, N. ; Massiot, A., Marie Curie et la Grande Guerre, Paris, Glyphe, coll. « Histoire », 2014

Pigeard-Micault, N., Les femmes du laboratoire de Marie Curie, Paris, Glyphe, coll. « histoire », 2013

Crédits photos :

Illustration de la page d’accueil :  Marie Curie dans son laboratoire © WikiCommons 

Illustration du chapô : Mᵐᵉ Curie faisant une conférence sur la radioactivité à l’Académie de médecine, L’Illustration, n°4288, 9 mai 1925 © Bibliothèque de l’Institut de France

Illustration de la notice générale : Marie Curie au congrès de physique Solvay en 1911  © WikiCommons 

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