Mort de Napoléon Bonaparte

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Par Yves Bruley, Maître de conférences h.d.r. à l’École Pratique des Hautes Études, Directeur de France Mémoire


« Bonaparte n’est plus le vrai Bonaparte, c’est une figure légendaire […]. Bonaparte appartenait si fort à la domination absolue, qu’après avoir subi le despotisme de sa personne, il nous faut subir le despotisme de sa mémoire. […] Aucune puissance légitime ne peut plus chasser de l’esprit de l’homme le spectre usurpateur : le soldat et le citoyen, le républicain et le monarchiste, le riche et le pauvre, placent également les bustes et les portraits de Napoléon à leurs foyers, dans leurs palais ou dans leurs chaumières. »  

Ce coup de colère contre l’empire post-mortem de Napoléon émane de l’un de ses opposants les plus inspirés, Chateaubriand. Croit-on que l’écrivain en ait conclu qu’il fallait se contenter d’une sorte d’ignorance collective de la réalité des faits historiques, voire de jeter aux oubliettes de l’histoire ce Napoléon détestable autant que fascinant ?  

Tout au contraire.  

Une figure controversée

Achevant dans les années 1840 ses Mémoires d’outre-tombe, où Napoléon occupe tant de place, Chateaubriand appelle à se libérer de la légende que le « grand homme » a si habilement construite. Il est temps, dit-il, « d’examiner cet homme à deux existences, de peindre le faux et le vrai Napoléon : ils se confondent et forment un tout, du mélange de leur réalité et de leur mensonge ». « Il est temps de placer en regard de la partie défectueuse de l’idole la partie achevée. » En un mot, il est temps de remplacer la légende par l’histoire.  

Chateaubriand livre alors l’une des pages magistrales des Mémoires d’outre-tombe, où l’écrivain dit en quoi, à son avis, cet homme est « grand » et en quoi il ne l’est pas. Au terme de ce bilan, et après avoir consacré, au cours de sa vie, tant d’énergie et tant de pages à dire tout le mal qu’il pensait de Bonaparte, Chateaubriand conclut que « les hommes qui comprennent les sentiments nobles peuvent rendre hommage à la gloire sans la craindre », et que Napoléon « est grand pour avoir rempli dix années de tels prodiges qu’on a peine aujourd’hui à les comprendre ».  

Quelle postérité pour Napoléon ? 

Deux cents ans après la mort de l’Empereur déchu, sommes-nous plus avancés à cet égard ? Incontestablement, la connaissance historique a beaucoup progressé, grâce au travail des chercheurs. Dans le débat public, les raisons d’admirer ou de détester Napoléon ont beaucoup évolué avec le temps. Au XIXe siècle, la droite a d’abord vu en lui le révolutionnaire et la gauche l’a d’abord estimé pour ce même motif. Beaucoup lui reprochent d’avoir conduit à la mort tant de soldats sur les champs de bataille et d’avoir supprimé les libertés avec la République. Certains rappellent les acquis de la Révolution consolidés par Bonaparte, ainsi que les continuités entre les guerres de la Révolution et celles de l’Empire. La plupart reconnaissent que les institutions administratives les plus solides ont été fondées sous le Consulat et l’Empire.  

Lors du centenaire, en 1921, la France victorieuse de la Grande Guerre salue le grand génie militaire (en oubliant la lutte à mort avec l’Angleterre) ; la République libérale, victorieuse elle aussi et enfin consolidée, un demi-siècle après la chute de Napoléon III, estime alors qu’elle peut s’associer sans crainte aux hommages rendus. 

Aujourd’hui, sa mémoire continue de diviser. Les sujets prégnants ne sont pas ceux d’hier, en particulier le rétablissement de l’esclavage en 1802. Le risque est parfois d’occulter le reste. Autoritaire, le régime napoléonien a réduit le pouvoir des assemblées, poursuivi ses opposants, connu les dérives du pouvoir personnel. L’Empire est même allé jusqu’à arrêter et détenir le pape, espérant assujettir l’autorité religieuse au pouvoir politique. Il ne faut pas l’oublier non plus. 

C’est parce qu’il ne faut pas oublier qu’il faut commémorer. Une commémoration n’est pas nécessairement un hommage et elle n’oblige pas à choisir son camp. L’intérêt d’un anniversaire comme celui de 2021 est d’offrir l’occasion de faire encore plus d’histoire, en assumant la diversité des points de vue.  

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