Formation du Cénacle de Meaux

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Par Isabelle Garnier, maîtresse de conférences HDR, Université Jean Moulin Lyon 3, IHRIM, UMR CNRS 5317


Première expérience pastorale réformatrice française à l’échelle d’un diocèse, soutenue par l’imprimerie, l’action menée à Meaux entre 1521 et 1523 répond aux abus de l’Église et à la fracture entre un clergé mal formé et des fidèles angoissés par la mort. L’évêque Guillaume Briçonnet épris de réformes depuis 1518, appelle à Meaux début 1521 le théologien humaniste Jacques Lefèvre d’Étaples, figure de proue du renouveau spirituel en France, à l’égal d’Érasme ou Luther en Europe. Il arrive entouré de prédicateurs : Michel d’ArandePierre CaroliGuillaume Farel, Martial Masurier, Gérard Roussel, François Vatable. Le groupe de Meaux est né. Tous les dimanches du printemps 1521 à l’automne 1523, l’épître et l’Évangile du jour sont lus et expliqués en français dans les églises aux hommes et femmes ignorant le latin. La préface de la traduction du Nouveau Testament par Lefèvre (imprimée à Paris, 1523 ; Bible entière à Anvers, 1530) résume le programme de Meaux : « A tous Chrestiens & Chrestiennes salut en Jesuchristvraye congnoissance et amour de sa parolle ». Loin des rites jugés hypocrites, le salut passe par la méditation de l’Évangile et la vive foy jaillie du cœur, distinguée de la foi seule sans œuvres de Luther. Cette doctrine dite évangélique dès le xvie siècle vise à restaurer l’authenticité du christianisme. Mais la Faculté de Théologie de la Sorbonne, stricte gardienne de l’orthodoxie en lutte contre le roi, tient Lefèvre pour hérétique. En août 1523 elle saisit son Nouveau Testament et condamne les bibliens meldois jugés luthériens. En octobre 1523, Briçonnet doit révoquer les prédicateurs et interdit dans son diocèse les livres de Luther, condamnés dès 1521 par la Sorbonne. Guillaume Farel s’exile alors en Suisse où il diffuse la Réforme. Un groupe éphémère rejoint par Jacques Pavant se reconstitue, pourchassé par la Sorbonne dès que François Ier est emprisonné (défaite de Pavie, février 1525). La sœur du roi Marguerite d’Angoulême (future reine de Navarre, 1527) aide Lefèvre et ses amis à quitter le royaume pour Strasbourg et les protège à leur retour en 1526 : Roussel devient son aumônier, Lefèvre, précepteur des enfants royaux.
 
Cénacle, cercle, école, groupe de Meaux : les dénominations prêtées par les historiens sont tardivesde même qu’évangélisme pour désigner l’action des novateurs avant la fracture entre catholiques et protestants. Indépendant de la réforme luthérienne dans sa genèse, l’évangélisme fabriste, c’est-à-dire inspiré par Lefèvre, partage avec elle bien des points sans aller jusqu’à rompre avec Rome. Témoin emblématique de ce courant, l’expérience de Meaux a pu faire l’objet d’une stylisation historiographique. Voie moyenne ou réforme radicale ?Les contemporains comme les historiens divergent. Honnis des conservateurs, loués par les tenants de la Réforme, les novateurs de Meaux ne veulent pourtant pas sortir du giron de l’Église. Ils bénéficient de la tolérance royale, qui fluctue au gré de la diplomatie avec le pape : la reinemère et sa fille Marguerite visitent Briçonnet en septembre 1521 mais en 1526, Pavant sera exécuté comme luthérienAvec les jugements de censure de la Sorbonne, les 64 lettres de Briçonnet à la sœur du roi (juin 1521-novembre 1524) témoignent des idées professées à Meaux. À Marguerite d’Angoulême qui sollicite son soutien spirituel, l’évêque dispense de savantes exégèses bibliques et demande de favoriser la réforme de l’Église de France – ce qu’elle fera toute sa vie, alors que lui-même abjure pour garder son siège. Si le Cénacle rapproche fugacement la Bible des fidèles, les ouvrages didactiques en vernaculaire poursuivent l’évangélisation populaire : Le Pater noster et le Credo en françoys de Farel (1524), les sermons de Lefèvre et ses amis, Épîtres et Évangiles pour les cinquante et deux semaines de l’an (1525) et des dizaines de livres souvent adaptés de Luther. L’initiativmeldoise fut brutalement contrariée, bien avant le renforcement du cadre institutionnel du catholicisme face au protestantisme naissant (concile de Trente, 1545). Quoique non schismatiques, les idées de Meaux feront de facto le lit de la Réforme en France – que Calvin lancera en 1536. Elles marquent aussi nombre d’écrivains. L’œuvre de Marguerite de Navarre, Clément Marot et Rabelais porte haut les valeurs des Évangéliques de Meaux. L’Église romaine attendra près de 450 ans pour substituer le vernaculaire au latin (concile Vatican II, 1962) : la vulgarisation de la Bible en langue maternelle fait du Cénacle de Meaux un audacieux précurseur.

 

À lire

Ouvrages critiques : 

Christin Olivier, Les Réformes : Luther, Calvin et les protestants, Paris, coll. « Découvertes Gallimard »1995. 

Crouzet Denis, La Genèse de la Réforme française (1520-1562), Paris, SEDES, 1996. 

Garnier-Mathez Isabelle, L’Épithète et la connivence. Écriture concertée chez les Évangéliques français (1523-1534), Genève, Droz, 2005, « Historiographie de l’évangélisme », p. 25-55. 

Jouanna Arlette, La France du XVIe siècle. 1483-1598, Paris, PUF, coll. « Premier cycle », 3e éd., 2002. 

 

Textes du XVIe siècle : 

Correspondance de Marguerite d’Angoulême et de Guillaume Briçonnet, évêque de Meaux, 1521-1524, éd. Michel Veissière, Christine Martineau et Henry Heller, Genève, Droz, 2 vol., 1975-1979. 

Farel Guillaume, Le Pater noster, et le Credo en françoys, avec une tresbelle et tresutile exposition (Bâle, 1524), éd. F. Higman, Genève, Droz, 1982. 

Lefèvre d’Étaples et ses disciples, Epistres et Evangiles pour les cinquante et deux dimenches de l’an (Paris, 1530, édition augmentée ; 1ère éd. Paris, 1525, censurée le 6 novembre 1525), éd. Guy Bedouelle et Franco Giacone, Leiden, Brill, 1976. 

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