Mort d’Émile Combes

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Par Julien Bouchet, membre associé du Centre d’histoire “espaces et cultures”, chargé d’enseignement (Université Clermont Auvergne)


« Notre politique générale est aujourd’hui ce qu’elle était hier, ce qu’elle était il y a deux ans et demi, une lutte, je ne crains pas de le dire, ardente et soutenue contre le cléricalisme, une poursuite non moins ardente et non moins soutenue, quoi qu’on en ait dit, des réformes démocratiques et sociales ». En rappelant pour la dernière fois son positionnement au banc des ministres de la Chambre des députés le 14 janvier 1905, Émile Combes exprime sa détermination en verbalisant sa fermeté. Cette saillie est représentative des pratiques de gouvernement d’un président du Conseil nommé en juin 1902, au moment de la maturité de l’affaire Dreyfus, quelques semaines après la victoire des gauches à des élections législatives politisées sur la question religieuse et scolaire. Un peu moins d’un an avant le vote final de la loi de Séparation, Combes incarne le radicalisme anticlérical.

Emile Combes, figure de proue du radicalisme anticlérical 

Le futur « petit père » Combes se destinait à une carrière ecclésiastique, avant qu’il ne perde la foi catholique, s’installe médecin à Pons et n’embrasse la politique d’opposition au Second Empire, à la différence d’autres futurs ministres comme Charles de Freycinet qui a servi le régime impérial. Ce Charentais d’adoption gravit ensuite les échelles des mandats électifs (conseiller municipal, conseiller général, sénateur) et celle des responsabilités gouvernementales (maire, président du Conseil général de Charente-Inférieure, vice-président du Sénat, ministre, président du Conseil), ce qui fait de lui un modèle de la méritocratie démocratique. Ministre des Cultes du gouvernement Léon Bourgeois en 1895 où il expérimente les relations entre la République et les confessions religieuses, puis en charge de l’Intérieur et des Cultes de juin 1902 à janvier 1905, le président Combes définit alors une politique « d’action républicaine ». Celle-ci est soutenue par un bloc des gauches constitué aux deux tiers de radicaux et de radicaux-socialistes. L’œuvre est volontairement anticléricale, épuratoire et réformiste, les « réformes sociales » (le repos hebdomadaire, les retraites, l’impôt sur le revenu) tardant cependant à être discutées, malgré l’implication des socialistes jaurésiens. Malmené par l’affaire des fiches qui a consisté en la surveillance infra-légale des officiers de l’armée, et la multiplication des dissidences parlementaires, Combes retrouve son siège au Sénat en janvier 1905. Il devient quelques mois plus tard le leader incontesté de la Gauche démocratique, puis le Président du Parti radical, tout en conservant une aura populaire, dans son département et au sein du « vivier commun » des républicains.

Le projet Loi de 1905

Ni idéologie structurant les gauches, ni doctrine aboutie, le combisme procéda plutôt d’une union parlementaire et d’une ferveur militante qui rayonna sur le parti radical français jusque tard dans le XXe siècle. Son écho fut aussi européen et latino-américain, plusieurs structures de gauche, en particulier en Espagne, au Portugal et au Mexique, déclarant emprunter son sillon.

La mémoire de Combes associe souvent son action à la loi portant séparation des Églises et de l’État. Émile Combes déposa bien un projet à l’automne 1904, quelques mois après la rupture des relations diplomatiques entre Paris et le Saint-Siège. Mais ce texte relevait bien plus du « gallicanisme administratif » que d’un ferme séparatisme. Afin de ne pas freiner l’examen de la réforme, le sénateur n’intervient pas dans les débats de 1905. Le 6 décembre, au moment du vote, il fait néanmoins une déclaration, au nom de son groupe, dans laquelle il soutient la réforme, d’abord par loyalisme républicain, le texte ayant été voté par les députés du Bloc. Les électeurs pourront de plus s’en faire une idée avant les élections législatives du mois de mai 1906. Sur le plan des principes enfin, Émile Combes considère cette mesure comme une « loi de liberté, d’affranchissement moral et de paix sociale », malgré des « imperfections » et des « lacunes ». La loi de 1905 n’émane donc pas véritablement d’une politique « combiste » en cela que plusieurs amendements ont ôté à la rédaction initiale son caractère de combat, spécialement par l’action d’Aristide Briand.

 

À lire :

Jean Baubérot, La Loi de 1905 n’aura pas lieu. Histoire politique des séparations des Églises et de l’État (1902-1908), t.I : « L’impossible « loi de liberté » (1902-1905) », Paris, Éditions de la maison des sciences de l’homme, 2019.

Julien Bouchet, La République irréductible, Neuilly, Atlande, 2018.

Julien Bouchet et Pierre Triomphe (dir.), Émile Combes, 100 ans après, Bordeaux, Le Festin, 2021.

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