Oscar Niemeyer et la France

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Article de Benoît Pouvreau, historien de l’architecture, co-auteur de Oscar Niemeyer en France : un exil créatif


 

La relation singulière nouée entre Oscar Niemeyer et la France est connue et le siège du Comité central du parti communiste français (PCF) en est le symbole. Cependant, cet édifice majeur fait de l’ombre à de nombreux autres projets français. Moins liés à sa fidélité au PCF, ils permettent de dévoiler un rapport plus complexe de l’architecte avec l’hexagone.

Éphémère élève du lycée français de Rio de Janeiro, Oscar Niemeyer a été très tôt francophile et francophone. Après une formation à l’École nationale des Beaux-Arts de Rio de Janeiro au début des années 1930, il entre dans l’agence de Lucio Costa, lui-même très lié à la France et proche de Le Corbusier. À leurs côtés, il collabore à la conception du ministère de l’Éducation et de la Santé publique à Rio.

Devenu indépendant, Niemeyer rencontre Juscelino Kubitschek, maire de Belo Horizonte : la réalisation du parc de Pampulha lui permet d’accéder à une première reconnaissance professionnelle mondiale. Il est ainsi salué aux États-Unis dès 1943 dans le cadre d’une exposition au MoMA, puis en France avec la revue L’Architecture d’Aujourd’hui en 1946 et 1947. À cette période, il retrouve Le Corbusier pour la conception du siège de l’ONU. Enfin, quand Juscelino Kubitschek, devenu président de la République, décide de créer la nouvelle capitale, Niemeyer en construit naturellement les principaux bâtiments publics. Avec l’inauguration de Brasilia en 1960, l’architecte devient une célébrité mondiale. Quatre ans plus tard, c’est lors d’un séjour en Europe qu’il apprend le coup d’état militaire au Brésil. Militant communiste, il choisit alors de s’installer à Paris pour travailler en France mais, plus largement, outre-Atlantique. En effet, il travaille déjà au Liban, en Israël, au Portugal et bientôt en Algérie.

L’exposition que lui consacre l’Union des Arts décoratifs, puis la remise du prix de L’Architecture d’Aujourd’hui le popularise en France durant l’été 1965. La mort de Le Corbusier lui donne un statut d’héritier qui renforce encore la notoriété de « l’homme de Brasilia ». Outre la commande du siège du comité central du PCF, Niemeyer est approché par André Malraux, ministre des Affaires culturelles. Ce dernier facilite grandement la commande de la zone à urbaniser en priorité (ZUP) de Grasse. D’autres projets naissent sur la côte d’Azur à cette même période, cependant seule la villa Nara Mondadori et la résidence Saint-Hospice seront réalisées au début de la décennie 1970. C’est alors qu’il ouvre son agence sur les Champs-Élysées et ce malgré l’échec de son projet pour le siège de la Régie Renault à Boulogne-Billancourt et l’abandon du projet de Grasse. L’achèvement de la première tranche du siège du PCF lui amène d’autres commandes par ce réseau politique majeur. La ZUP de Dieppe, la Maison de la Culture du Havre ou la tour de bureaux de la Défense y sont ainsi étroitement liés. Le rejet progressif des grands ensembles, les arrière-pensées politiques d’un ministre, puis la crise économique née du Choc pétrolier mettent à mal ces projets, tandis qu’il renonce à construire des centrales nucléaires pour EDF. Il réalise cependant la Bourse départementale du travail à Bobigny, la Maison de la Culture du Havre et la dernière tranche du siège du PCF à la fin de la décennie. Si durant cette dernière, l’architecte retourne régulièrement dans son pays natal, il ne s’y réinstalle définitivement qu’en 1981, peu d’années avant la fin de la dictature, fermant alors son agence parisienne.

Au cours de cet exil créatif, il a aussi conçu, avec sa fille, du mobilier pour la première fois, imaginé une scène éphémère pour la Fête de L’Humanité à La Courneuve, participé au jury qui choisit Piano et Rogers pour le Centre Pompidou, ou encore conçu une salle de spectacles amovible pour la Cour carrée du Louvre. La décennie suivante est moins fructueuse mais suscite cependant le siège du journal L’Humanité à Saint-Denis qui sera prochainement réhabilité. Enfin, grâce à sa longévité exceptionnelle, Oscar Niemeyer a pu encore réaliser deux œuvres méconnues à la fin du XXème siècle et au début du millénaire : une stèle en hommage aux Brigades internationales à Champigny-sur-Marne et une sculpture pour la Paix à Paris. À l’occasion de ses cent ans, le siège du PCF à Paris, la bourse départementale du travail à Bobigny et le siège du journal L’Humanité à Saint-Denis ont été protégés au titre des Monuments historiques. En 2012, sa mort suscite une grande émotion, en France comme dans le monde : le dernier des grands architectes modernes du XXe siècle venait de nous quitter à presque 105 ans.

 

À lire :

Vanessa Grossman, Benoît Pouvreau, Oscar Niemeyer en France : un exil créatif, Paris, éditions du Patrimoine, coll. Carnets d’architecture, 2021

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