Naissance de François-Xavier Bichat

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Par Joël Coste, Laetitia Loviconi Section des sciences historiques et philologiques, École pratique des hautes études, PSL


Marie François Xavier Bichat est né le 14 novembre 1771 à Thoirette dans le Jura, d’un père médecin et chirurgien. Il débuta une formation de chirurgien à Lyon en 1791, sous la direction de Marc-Antoine Petit, avant de gagner Paris en 1794 où il devint l’élève puis l’assistant de Pierre Joseph Desault (1738-1795) au Grand Hospice de l’Humanité (Hôtel-Dieu). Après la mort de Desault, Bichat, qui avait fait partie des membres fondateurs de la Société Médicale d’Émulation (1796), devint médecin-chef de l’Hôtel-Dieu, donna des cours privés d’anatomie, de médecine opératoire et de physiologie suivis par des assistances nombreuses et conduisit des recherches à un rythme effréné –s’occupant des malades le matin, enseignant l’après-midi, disséquant le soir, écrivant la nuit et publiant sans se relire– jusqu’à sa mort, d’une probable méningite tuberculeuse, le 22 juillet 1802 à Lyon. Cette mort prématurée, à l’âge de 30 ans, et ses ouvrages immédiatement célèbres : le Traité des membranes (1799), les Recherches physiologiques sur la vie et la mort (1800), l’Anatomie générale appliquée à la physiologie et à la médecine (1801) et les deux premiers tomes du Traité d’anatomie descriptive (1801-1803) contribuèrent à la légende, voire au mythe de Bichat, héros romantique et révolutionnaire d’une nouvelle médecine, entretenu au XIXe siècle par des écrivains (Flaubert, Eliot) et des philosophes attirés par le vitalisme (Hegel, Comte, Schopenhauer) – bien après que les médecins eurent abandonné ou corrigé ses contributions. Ce mythe est encore présent dans une certaine historiographie française du XXe siècle (à l’instar des écrits de M. Foucault) avant que les analyses sérieuses de P. Huard, O. Keel, R. Rey ou encore F. Duchesneau ne permettent d’évaluer précisément l’originalité et l’impact des apports de Bichat.

Un précurseur et le fondateur de la méthode physiologique

S’inspirant notamment de Pinel, reprenant lui-même dans l’œuvre du médecin écossais James Carmichael Smyth (1741-1821) l’idée que chaque maladie se distingue par l’atteinte propre de tel ou tel tissu, Bichat a élaboré une anatomie originale à niveaux d’organisation hiérarchiquement agencés qui inclut le tissu comme unité fonctionnelle ayant sa vie propre et fournissant la principale échelle explicative en pathologie. Il a ainsi contribué de façon décisive à l’émergence de l’histologie et au développement de l’histopathologie mais son rejet de l’utilisation du microscope restreignit l’exactitude de ses conceptions et ses apports furent bien plus durables dans le champ de la physiologie et de l’expérimentation sur le vivant. Influencé par Haller et certains théoriciens de la force vitale, Bichat a constitué une science autonome des corps vivants et défini la vie comme « l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort ». Sa catégorisation fonctionnelle distingue les fonctions de la « vie organique », tournées vers le vivant lui-même et actives en permanence, et celles de la « vie animale », inscrites dans le rapport à l’extérieur et actives de façon discontinue. Bichat suivit expérimentalement l’enchaînement de la mort au niveau des parties corporelles afin de déterminer les connexions requises pour que se réalisent certaines opérations à l’échelle de l’organisme. Si Bichat a fait l’objet de critiques concernant son usage des conceptions vitalistes, il a exercé une influence notable sur le développement de la méthode expérimentale physiologique. François Magendie (1783-1855) et Claude Bernard (1813-1878) délaissèrent la doctrine des propriétés vitales et reléguèrent au second plan l’approche anatomique tissulaire mais ils firent de l’expérimentation la méthode de référence de la physiologie et de la médecine –et des sciences du vivant en général– et Claude Bernard témoigna son admiration pour Bichat en raison de la méthode physiologique qu’il avait fondée, plaçant dans les tissus et les organes les causes immédiates des phénomènes.

À lire :

G. Canguilhem, « Claude Bernard et Bichat », Œuvres complètes, III, p. 448-56

F. Duchesneau, La physiologie des Lumières, Paris, Garnier, 2012

P. Huard, M. D. Grmek, Sciences, médecine, pharmacie, de la Révolution à l’Empire (1789-1815), Paris, Dacosta, 1970

P. Huard, « Bichat anatomiste », Histoire des sciences médicales 1972 ; 6 : 98-106 ; P. Huneman, Bichat : la vie et la mort, Paris, PUF, 1998

O. Keel, La généalogie de l’histopathologie. Une révision déchirante, Paris, Vrin, 1979

O. Keel, L’avènement de la médecine clinique moderne en Europe, Georg Éditeur et Presses de l’université de Montréal, 2002

R. Rey, « Bichat au carrefour des vitalismes » in Guido Cimino, François Duchesneau (eds). Vitalisms from Haller to the Cell Theory, Florence, Olschki, 1997, p. 175-203

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